Hollande en 309 citations vérifiées
Cette présidentielle a mis en évidence les forces du fact checking, permettant une lecture critique inédite des programmes et des discours politiques. Comme l'a proposé Le Véritomètre OWNI i>TÉLÉ au fil de cette campagne. Mais avant d'entamer la vérification du prochain quinquennat, honneur au vainqueur. Nous avons vérifié 309 citations de François Hollande durant toutes ces semaines. Beaucoup étaient exactes. Mais il y avait aussi de grosses boulettes. Les voici. Représentant autant de vrais sujets de révision pour le nouveau Président avant de se mettre au boulot.
La course vers la magistrature suprême du candidat socialiste a été semée de chiffres. Pendant trois mois d’écoute des discours de François Hollande, au fil de 35 interventions, 309 citations chiffrées ont été passées sous la loupe des vérificateurs d’OWNI. Sur l’ensemble de ces déclarations de François Hollande, 43,4% d’entre elles se sont avérées correctes, 35,3% incorrectes et 18,1% imprécises.
Au final, la crédibilité de François Hollande sur les propos que nous avons vérifié s’élève à 55%, le plaçant en troisième position des six candidats examinés, derrière Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, 9,2 points au dessus de son concurrent de second tour, Nicolas Sarkozy.
Mais, dans le détail des chiffres, il ressort clairement que certaines des propositions clefs du programme du candidat ont été défendues avec des chiffres incorrects. Des finances de l’État au prix de l’énergie en passant par les emplois publics, nous avons mis en lumière les points faibles de l’argumentaire de campagne du nouveau Président.
505 milliards
“Je veux redresser la France” était le titre du premier chapitre du programme du candidat Hollande et la 9ème de ses 60 propositions portait sur le retour à l’équilibre des finances publiques. Par cinq fois1, cependant, il s’est lourdement trompé sur la dégradation des comptes de l’État, attaquant ainsi le bilan du Président sur ce point dans l’émission “Des paroles et des actes” sur France 2 le 11 avril dernier :
Ce n’est pas moi qui présente un bilan avec une dette publique de 600 milliards d’euros augmentés
Or ce bilan, justement est sensiblement inférieur : selon l’Insee, les comptes de l’année 2007 s’étaient clos sur une dette publique de 1211,6 milliards d’euros. Le dernier exercice, lui, a vu 1717,3 milliards de dette pour les comptes nationaux. Au total, il s’agit donc de 505 milliards de plus, et non 600. Argument de François Hollande pour défendre cet écart, sur lequel Nicolas Sarkozy a insisté lors du débat d’entre-deux-tours, il se base sur des projections sur l’exercice 2012. Or, depuis le début de notre exercice, nous avons refusé de nous baser sur des hypothèses, ce qui nous amène à rejeter cette justification.
Sous-estimé
Parmi les mesures du candidat PS les plus critiquées par ses adversaires, la création de 60 000 postes d’enseignants sur le quinquennat arrive certainement en tête. Là encore, pour la défendre, il s’appuyait sur les réformes mises en oeuvre par son prédécesseur à l’Élysée, notamment en matière de réduction d’effectifs, suivant un chiffre répété à quatre reprises dans les interventions que nous avons vérifiées :
Je rappelle que 80 000 [postes dans l’Éducation nationale] ont été détruits, ces cinq dernières années !
Mais les rapports annuels de l’Éducation nationale ne tiennent pas tout à fait le même compte des effectifs. Tous personnels confondus (enseignants et non enseignants), le ministère est passé du 1er janvier 2007 [pdf] à fin 2011[pdf] (derniers chiffres disponibles) de 1 209 828 agents à 1 108 217, soit 101 611 postes de moins. Une marge d’erreur de 21%, importante, mais moindre que quand il avait déclaré dans l’émission Dimanche + , une semaine après le 1er tour, que “60 000 fonctionnaires” partaient chaque année à la retraite, alors qu’ils étaient au dernier compte [pdf] (rapport sur les pensions de la fonction publique 2012) 83 172 pour toute l’année 2012…
S’il a sous-estimé la casse dans le secteur public, il l’a lourdement surestimée dans le privé. À cinq reprises, François Hollande a ainsi martelé :
Il y a eu près de 400 000 emplois industriels qui ont disparu ces cinq dernières années.
Considérant que ces “cinq dernières années” étaient en fait celles du quinquennat de celui dont il souhaitait prendre la place, nous avons consulté les bilans de l’Insee. Et l’écart est de taille : au premier trimestre 2007, la France comptait 3,6 millions de salariés dans le secteur industriel. Au dernier recensement (quatrième trimestre 2011), ils n’étaient plus que 3,2 millions, soit 343 400 postes de moins. Un écart de 16% avec le chiffre du candidat socialiste, qui place pourtant en tête des objectifs de son programme la relance de l’industrie par la création d’une Banque publique d’investissement.
Largement fluctué
Chahuté par les journalistes pendant l’entre-deux-tours sur ses projets de régularisation, François Hollande a, comme il l’avait promis au soir du premier tour, abondamment évoqué l’immigration. Avant même de s’égarer en affirmant au 20 heures de TF1 du 24 avril que Nicolas Sarkozy avait été “responsable de la politique migratoire depuis 10 ans” (oubliant son passage au ministère des Finances), il s’avançait déjà sur le bilan de l’immigration choisie :
Aujourd’hui, nous sommes tombés à 15 000.
Sur l’immigration économique, les chiffres du candidat PS ont largement fluctué : le 29 avril, sur Canal +, il avançait le double, “30 000 à peu près”.
Malheureusement pour lui, les chiffres du ministère de l’Intérieur infirment les deux hypothèses : pour l’année 2009 (dernières données définitives disponibles), la place Beauvau comptabilisait 19 251 “premiers titres de séjour” (hors renouvèlement donc) délivrés au titre de l’immigration économique.
Quant à son estimation de “40 à 50 000″ titres de séjours accordés pour les conjoints étrangers, avancée le 15 mars dans l’émission “Des paroles et des actes” sur France 2, elle est supérieure de 12% aux chiffres du rapport au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration du ministère de l’Intérieur (36 561 visas pour conjoint étranger en 2009).
À la pompe
Dernière proposition emblématique des trois derniers mois de campagne de François Hollande : le gel des prix du carburants. Pour étayer ce projet visant à améliorer le pouvoir d’achat des Français, le candidat socialiste s’est justifié par le poids des taxes dans le prix des carburants :
Sur 100 que nous payons pour les carburants, 60 ce sont des taxes, 40 c’est le prix réel du pétrole.
Mais c’était sans compter sur une subtilité bien connue des automobilistes : les taxes sont très différentes d’un carburant à l’autre. À la pompe, le Super sans plomb affichait 57% de taxes en 2011, selon l’Union française des industries pétrolières, contre seulement 49% pour le gazole. Or, pondérée par la consommation relative de chaque carburant (le second représente 80,1% du contenu des réservoirs français), la moyenne s’établit à 50,1%, soit 19,8% de moins qu’annoncé par François Hollande ! Ce qui ne l’a pas empêché de répéter le chiffre à trois reprises, au cours des interventions que nous avons vérifiées.
Une erreur cependant anecdotique comparée à celle qu’il a faite le 15 mars dans l’émission “Des paroles et des actes” sur France 2, où il annonçait que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) rapportait 26 milliards d’euros par l’Etat… alors que, selon le Projet de loi de finances 2012 [pdf], sa collecte était en 2011 de seulement 14 milliards, soit 85% de moins !
Pour répliquer aux arguments de son adversaire lors du débat d’entre-deux-tours, François Hollande s’est risqué sur deux autres énergies, le gaz et l’électricité. Selon lui :
le prix du gaz lui il a augmenté de 60 % pour les consommateurs
Les bases de données du ministère du Développement durable, elles, annoncent une hausse de 8,32 euros à 8,99 euros pour le tarif de base (ménage à 100 kWh) durant l’année écoulée, soit une hausse de 8%, et de 7,20 à 8,99 depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, soit 25%. Deux chiffres inférieurs de plus de la moitié aux propos du candidat socialiste. Quant à son évaluation de “20%” d’augmentation du prix de l’électricité, elle s’avère tout aussi exagérée, puisque, sur le dernier quinquennat, elle plafonne à 12,7% selon la même source.
Si ces exemples ne constituent qu’un échantillon, l’intégralité des déclarations chiffrées vérifiées par Le Véritomètre durant ses trois mois d’existence resteront en ligne et consultables pour les cinq années de mandat qui débute ce jour. Cinq années durant lesquels nos bases de données seront mises à jour et étoffées pour suivre au plus près les déclarations du nouveau Président et de ses plus proches collaborateurs à l’Élysée (porte-parole, conseillers et secrétaire général) et permettre aux internautes d’évaluer avec les vérificateurs d’Owni leur crédibilité. Pour François Hollande comme pour les citoyens, le factchecking, c’est maintenant.
Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin. Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Photographie de la place de la Bastille le 6 mai 2012 par © Eric Bouvet via Picture Tank.
Illustrations par Loguy pour Owni /-)
- sur l’ensemble des interventions de François Hollande vérifiées par l’équipe du Véritomètre [↩]
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