OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Creative Commons hackent le droit d’auteur ! http://owni.fr/2012/12/14/les-creative-commons-hackent-le-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/12/14/les-creative-commons-hackent-le-droit-dauteur/#comments Fri, 14 Dec 2012 13:00:49 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=126730

Les licences Creative Commons vont  bientôt fêter les dix ans de leur création ! La fondation Creative Commons a en effet été lancée en 2001, à l’initiative notamment du juriste américain Lawrence Lessig, et les premiers jeux de licences ont été publiés en décembre 2002.

Avant de souffler les bougies, fermons les yeux et essayons d’imaginer un instant à quoi ressemblerait Internet si les licences Creative Commons n’existaient pas… Nul doute que quelque chose d’essentiel nous manquerait, car les CC sont devenus un des standards de l’environnement numérique et la clé de voûte de la mise en partage des contenus culturels.

Durant ces dix années, l’arsenal de protection de la propriété intellectuelle n’a cessé de se renforcer et de se rigidifier, même si les rejets d’ACTA et de SOPA ont marqué cette année un premier coup d’arrêt à ce mouvement. Dans le même temps, les Creative Commons ont pourtant apporté la preuve qu’il était possible de penser le droit d’auteur autrement, sans attendre que les lois soient modifiées.

C’est sans doute ce qu’il y a de plus spectaculaire avec les CC. S’appuyant sur des contrats, qui sont la base même du fonctionnement du droit d’auteur, les licences Creative Commons ont introduit dans la sphère de la création générale le renversement copernicien que les licences libres avaient déjà opéré dans pour le logiciel. Elles y ont ajouté l’idée géniale d’une signalétique simple et claire des droits en ligne, sous forme de logos et de résumés simplifiés, favorisant l’appropriation des licences par les non-juristes.

Créés en dehors de l’action des États, les Creative Commons ont permis de “hacker” de l’extérieur le droit d’auteur pour donner une base juridique aux pratiques de mise en partage des oeuvres, de production collaborative de contenus et de réutilisation créative (remix, mashup). Partir des libertés plutôt que des restrictions pour diffuser leurs oeuvres, voilà ce que les licences Creative Commons permettent aux auteurs, à partir d’un système d’options qui offrent à chacun la possibilité de choisir le degré d’ouverture convenant à son projet.

En cela, les Creative Commons remettent l’auteur au centre du système et si l’on en croit les chiffres avancés dans la brochure The Power of Open, ce sont plus de 400 millions d’oeuvres par le monde qui ont été ainsi mise en partage par leurs créateurs, formant une galaxie de biens communs volontaires.

Les Creative Commons sont porteurs d’une révolution pour la conception du droit d’auteur et pour son adaptation aux exigences de l’environnement numérique. Le philosophe Michel Serres avait particulièrement bien expliqué les enjeux d’une telle évolution dans cette interview :

Dans une société, il y a des zones de droit et des zones de non-droit. La forêt était jadis une zone de non-droit infestée de malandrins et de voleurs. Un jour, pourtant, un voyageur traversant la forêt de Sherwood constata que tous les voleurs portaient une sorte d’uniforme ; ils portaient tous un chapeau vert et ils étaient sous le commandement de Robin Hood. Robin, qu’est-ce que ça veut dire ? Celui qui porte la robe du juge. Robin incarne le droit qui est en train de naître dans un lieu où il n’y avait pas de droit. Toutes les lois qu’on veut faire sur les droits d’auteur et la propriété sur Internet, c’est de la rigolade. Internet est un lieu de non-droit comme la forêt dont nous parlions. Or un droit qui existe dans un lieu de droit n’est jamais valable dans un lieu de non-droit. Il faut que dans ce lieu de non-droit émerge un nouveau droit. Dans le monde de demain doit émerger un nouveau droit. Si vous voulez réguler le monde d’aujourd’hui avec le vieux droit, vous allez échouer, exactement comme on a fait sur Internet. Il faut attendre que dans la forêt d’Internet on puisse inventer un droit nouveau sur ce lieu de non-droit. Plus généralement, dans cette crise qui fait entrevoir un nouveau monde, ce n’est pas le droit ancien qui va prévaloir.

Issus directement de la “forêt d’Internet”, les Creative Commons constituent l’un des pans de ce droit nouveau dont le système a besoin pour retrouver la paix et l’équilibre. On pourra d’ailleurs se rendre compte de la richesse et de l’étendue des propositions de l’organisation en lisant le compte rendu de l’audition par la mission Lescure de Creative Commons France.

Pour essayer de faire un bilan de l’avancement du projet Creative Commons à l’occasion de ces 10 ans, voici 10 points d’analyse : 3 réussites à souligner, 3 limites à dépasser, 3 défis à relever et un horizon à atteindre.

3 réussites à souligner :

1) L’épreuve du feu de la validité en justice

Les Creative Commons ne sont pas des “alternatives” au droit d’auteur, mais une façon de le faire fonctionner autrement, en jouant avec la logique contractuelle. L’un des défis majeurs pour les licences consistait à se faire accepter par les juridictions dans les divers pays du monde, alors même qu’elles étaient nées en dehors de l’action des États.

Pour l’instant, cette épreuve du feu de la validité  a été surmontée avec succès chaque fois que les Creative Commons ont été au coeur d’un litige soumis à un juge. Les Creative Commons ont ainsi été reconnues valides en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, aux Etats-Unis, en Israël.

Aucune affaire cependant en France n’a encore porté sur une oeuvre placée sous licence Creative Commons, ce qui permet parfois à certains juristes de continuer à faire planer le doute sur leur compatibilité avec le droit français ou d’entretenir la confusion avec l’expression “libre de droits“. Au vu des décisions rendues par d’autres juridictions en Europe, il n’y a pourtant pas lieu de penser que les Creative Commons ne seraient pas valables au pays de Beaumarchais.

On en vient à espérer qu’un procès survienne pour acter définitivement la compatibilité avec le droit français. Mais l’absence de contentieux prouve aussi la capacité des licences à assurer paisiblement et efficacement la régulation des échanges, sans provoquer de litiges.

2) L’adoption par de grandes plateformes des médias sociaux

La semaine dernière, la plateforme de partage de photographies 500px annonçait qu’elle offrirait désormais à ses utilisateurs la possibilité d’utiliser les licences Creative Commons. C’est la dernière d’une longue série et cette adoption par les médias sociaux a joué un rôle décisif dans la diffusion des licences.

Le fait que Flickr ait très tôt offert cette possibilité à ses utilisateurs a constitué un jalon important, qui en fait aujourd’hui un des carrefours de la mise en partage des contenus avec plus de  plus de 240 millions de photographies sous CC. D’autres sites importants comme Vimeo, Soundcloud ou Bandcamp ont suivi cet exemple. Le fait que la communauté de Wikipedia ait aussi choisi en 2009 de faire passer l’encyclopédie collaborative sous CC-BY-SA a également constitué un tournant essentiel. En 2011, c’est YouTube qui avait créé l’évènement en annonçant la mise en place de la possibilité de placer des vidéos sous CC. En moins d’un an, ce sont plus de 4 millions de fichiers qui ont été mis en partage par le biais des licences sur la plateforme de Google.

Cette inclusion progressive des licences Creative Commons dans l’écosystème des médias sociaux est incontestablement une réussite, mais elle rencontre certaines limites importantes. Des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter n’offrent toujours pas cette possibilité à leurs usagers (même si des applications non-officielles existent pour cela). En août dernier, il a fallu qu’un service tiers “force la main” à Instagram en utilisant son API pour que les utilisateurs de ce service puissent enfin placer leurs photos sous CC, avec des résultats mitigés.

Nul doute que l’articulation entre les Creative Commons et les CGU des grands médiaux sociaux constitue un point essentiel pour leur développement, ainsi qu’un facteur qui garantit une meilleure maîtrise pour les individus des droits sur leurs contenus.

3) La mise en place de modèles économiques convaincants

L’un des arguments utilisés pour dénigrer les Creative Commons consiste à affirmer que les licences impliqueraient nécessairement une diffusion gratuite et qu’elles empêcheraient les artistes de tirer bénéfice de leurs créations. C’est grossièrement faux et les Creative Commons ont apporté la preuve qu’elles pouvaient être utilisées au contraire pour mettre en place des modèles économiques innovants.

Grâce aux clauses NC (Pas d’usage commercial), les créateurs peuvent moduler l’ouverture des licences et continuer à monétiser certains types d’usages tout en laissant circuler leurs oeuvres. Ces modèles mixtes ont produit de belles réussites dans tous les domaines, qu’il s’agisse de musique, de livres, de photographies, de films ou de jeux vidéo .

L’articulation entre Creative Commons et crowdfunding ouvre également des pistes intéressantes aux artistes pour obtenir des financements tout en élargissant les droits de leur public. Une page spéciale du site américain Kickstarter liste les projets pour lesquels les auteurs ont proposé de placer leur création sous licence Creative Commons si le public  les aidait à rassembler les financements en amont. On retrouve le même principe sur d’autres plateformes comme Indiegogo, ou côté français Ulule et KissKissBankBank, tandis que le site espagnol Goteo propose exclusivement le financement de projets sous licences libres.

Par bien des côtés, ces pratiques annoncent sans doute les modèles économiques de demain.

3 limites à dépasser :

1) Remédier à l’imprécision de la clause non-commerciale

A l’occasion du passage à la version 4.0, un débat assez vif a divisé la communauté Creative Commons à propos de l’opportunité de maintenir la clause Non-Commerciale parmi les options proposées par les licences.

Il est clair que l’imprécision relative de cette clause fragilise la mise en oeuvre des Creative Commons, d’autant plus que les licences NC sont les plus utilisées. Le juriste Benjamin Jean estime que Creative Commons International a une part de responsabilité dans ce flottement :

j’accuse pour ma part Creative Commons de maintenir ce flou en ne souhaitant pas faire le choix d’une définition précise (le problème d’une telle définition est 1) qu’il n’emporterait pas l’unanimité et 2) qu’elle ne saurait être rétroactive…).

Pour la version 4.0, il semblerait que Creative Commons ait choisi de s’en tenir au statu quo et de maintenir cette clause en l’état, vu qu’aucun consensus ne se dégageait nettement concernant sa reformulation. Il faudra sans doute pourtant réouvrir tôt ou tard cette réflexion, qui touche à quelque chose d’essentiel dans la capacité des licences Creative Commons à servir de base pour le développement de modèles économiques. Il faudra néanmoins pour cela que la communauté arrive à s’accorder sur cette question épineuse, ce qui reste loin d’être évident…

2) Une meilleure application aux bases de données et à l’Open Data

Une des évolutions que Creative Commons n’a pas très bien négocié ces dernières années est celle de l’Open Data. On aurait pu penser que ces licences auraient pu être employées pour ouvrir les bases de données et libérer les informations publiques, mais des difficultés juridiques sont survenues qui ont limité l’application des Creative Commons dans ce domaine.

Les licences Creative Commons sont prévues pour s’appliquer aux droits voisins, mais la version 3.0 appréhende relativement mal le droit sui generis des bases de données tel qu’il existe en Europe. Par ailleurs, les licences Creative Commons n’étaient pas non plus prévues pour encadrer le droit à la réutilisation des informations, ce qui a pu conduire à des flottements en France dans le cdare du développement de l’Open Data.

Certains pays ont néanmoins choisi d’opter pour les Creative Commons pour diffuser leurs données (Autriche, Australie, Nouvelle-Zélande), mais d’autres comme l’Angleterre ou la France ont préféré écrire leurs propres licences. Les difficultés susmentionnées ont aussi conduit certains gros projets collaboratifs, comme OpenStreetMap à changer de licence, préférant l’ODbL, spécialement conçue pour les bases de données aux licences Creative Commons.

Il avait été envisagé que la version 4.0 des CC soit modifiée pour mieux prendre en compte le droit des bases de données et c’est sans doute un enjeu important pour que Creative Commons continuer à jouer un rôle dans le domaine de l’Open Data.

3) Développer la compatibilité avec la gestion collective des droits :

Un des facteurs qui freinent fortement l’adoption des Creative Commons par les artistes réside dans le fait que les sociétés de gestion collective n’acceptent généralement pas que les auteurs placent tout ou partie de leur répertoire sous licence ouverte. Les artistes sont donc réduits à choisir entre utiliser les Creative Commons ou renoncer à la gestion collective.

Pour autant, reprenant une formule qui avait déjà été testée en 2007 aux Pays-bas, Creative Commons a conclu fin 2011 un partenariat avec la SACEM en France pour monter une expérience pilote, afin d’ouvrir aux auteurs et compositeurs de musique la possibilité d’utiliser certaines des licences CC.

On peut considérer qu’il s’agit d’une avancée importante pour la reconnaissance des Creative Commons en France, mais cet accord a également soulevé de nombreuses critiques, notamment de la part des communautés du Libre, ainsi qu’a propos de la façon dont la SACEM entend redéfinir la définition du Non-Commercial de manière extensive.

Il est clair pourtant qu’il est crucial que les sociétés de gestion collective s’ouvrent aux licences Creative Commons, mais le défi consiste à organiser cette connexion sans que les licences subissent des altérations qui en dénaturent la logique.

3 défis à relever :

1) Une meilleure prises en compte par les mécanismes traditionnels de financement de la création

On peut s’étonner que les licences Creative Commons ne soient pas davantage utilisées dans certains domaines, comme le cinéma. Il existe des exemples dans le domaine du court métrage d’animation et le Film espagnol El Cosmonauta du producteur espagnol Riot Cinema avait constitué un exemple intéressant de combinaison du crowdfunding et des licences libres pour un projet ambitieux.

Mais il faut plutôt aller voir du côté des modes de financement et de distribution des oeuvres cinématographiques pour comprendre pourquoi il est très difficile pour des films sous CC de voir le jour. Le cinéma bénéficie en effet d’importantes subventions, comme les avances sur recettes du CNC. Or les oeuvres sous licences libres ne peuvent pas bénéficier de ces formes de financement, ce qui les coupent de leviers importants. C’est une situation qu’a souvent dénoncé le Collectif Kassandre en France, avant de décider de mettre fin à ses activités cette année.

Il est clair qu’un des moyens de favoriser le développement d’oeuvres sous licence Creative Commons serait d’organiser des filières particulièrement de financement et de distribution, par les organismes de soutien à la création que sont par exemple le CNC pour le Cinéma ou le CNL pour les livres. Cela pourrait d’ailleurs constituer un des axes de réflexion de la Mission Lescure pour favoriser le développement de l’offre légale.

C’est un enjeu majeur pour favoriser l’adoption des Creative Commons par les créateurs professionnels, au-delà des amateurs.

2)  Favoriser l’adoption des licences Creative Commons par les administrations

L’adoption des licences Creative Commons par les administrations est un facteur qui peut grandement contribuer à leur diffusion. Pour l’instant, les exemples restent cependant relativement rares. Le site de la Maison blanche est par exemple placé sous licence CC-BY, mais il est assez difficile de citer d’autres cas aussi emblématiques (hormis au niveau international : Banque Mondiale, UNESCO, OCDE). On assiste même parfois à des retours en arrière, comme au Brésil où le Ministère de la Culture a choisi en 2011 de retirer la licence Creative Commons de son site pour revenir à un régime de droits réservés.

The battle for copyright (La bataille du copyright) par Christopher Dombres (cc)

Pourtant il existe un intérêt réel pour les administrations et les services publics à entrer dans la logique de mise en partage et de collaboration que favorisent les licences Creative Commons. En France, la municipalité de Brest par exemple montre comment ont peut développer la dynamique participative et l’expression citoyenne au niveau d’un territoire à partir de sites et de plateformes placées sous licence Creative Commons.

Au niveau central, on pourrait espérer que le premier ministre par exemple prolonge la circulaire qui a été récemment publiée pour favoriser l’usage des logiciels libres dans les administrations par un  texte incitant les services à placer les contenus qu’ils produisent sous licence Creative Commons. Une telle démarche d’Open Content viendrait compléter celle qui est initiée actuellement au niveau de l’État en matière d’Open Data.

Dans cette optique, l’un des champs privilégiés serait le développement de ressources pédagogiques sous licence Creative Commons, ainsi que la mise à dispositions des résultats de la recherche scientifiques. La Californie aux États-Unis et la Colombie britannique au Canada ont récemment voté des textes de loi pour favoriser le développement de bibliothèques numériques de manuels d’enseignement Open Source, sous licence CC-BY. Le réseau européen Communia a également publié une déclaration importante la semaine dernière pour appeler les responsables de l’Union a rendre obligatoire non seulement l’Open Access aux articles scientifiques financés par des fonds publics en Europée, mais aussi leur passage sous licence CC-BY.

3) Peut-on rendre les Creative Commons Mainstream ?

Le défi majeur à mes yeux pour les licences Creative Commons consiste à savoir comment on peut en favoriser plus largement l’adoption, en dehors même du cercle des adeptes de la Culture libre.

Dans une chronique précédente, j’avais relevé par exemple que les 240 millions de photographies sur Flickr sous licence Creative Commons ne représentent au final qu’un peu plus de 3% des contenus du site. On retrouve à peu près les mêmes proportions sur la plateforme de partage de vidéos Vimeo. Même si en valeur absolue, l’adoption des Creative Commons par 3% des créateurs suffit à produire des masses de contenus réutilisables importantes, il est clair que l’on ne modifie pas un système en profondeur avec des pourcentages de cet ordre.

Dix ans après sa création, il est désormais essentiel pour Creative Commons de réfléchir à la manière dont les licences pourraient devenir “mainstream”. Une des pistes seraient peut-être de creuser les partenariats avec les grands médias. La BBC par exemple en Angleterre a conduit des expériences de diffusion de programmes télévisés sous licence Creative Commons, ainsi que pour ses archives. La chaîne d’information Al Jazeera est quant à elle engagée dans un usage avancé de diffusion ouverte de ses contenus, au sein de son Creative Commons Repository. En Hollande, c’est l’équivalent de l’INA qui valorise une partie de ses contenus sous licence Creative Commons sur la plateforme Images For The Future. Et la télévision norvégienne a déjà libéré certains de ses contenus sous licence CC, mais seulement pour des volumes limités.

En France, on peut déjà citzer quelques exemple, avec la plateforme Arte Creative ou le site de critiques de livres Non Fiction, mais il faut bien avouer que les Creative Commons sont encore en retrait dans les médias traditionnels. La piste des licences libres constituerait pourtant pour eux un moyen d’innover et de développer un rapport plus interactif avec le public.

Un horizon à atteindre

Au bout de 10 ans, les Creative Commons ont fait leur preuve quant à leur capacité à organiser la circulation et la réutilisation des contenus en ligne, tout en apaisant les relations entre les auteurs et le public. Certaines propositions de réforme du droit d’auteur vont à présent plus loin, en suggérant de placer tous les contenus postés sur le web par défaut sous un régime autorisant la réutilisation à des fins non-commerciales des oeuvres.

Une telle proposition avait été appelée Copyright 2.0 par le juriste italien Marco Ricolfi et elle aurait abouti dans les faits à faire passer par défaut le web tout entier sous licence CC-BY-NC. Pour revendiquer un copyright classique (tous droits réservés), les titulaires de droits auraient eu à s’enregistrer dans une base centrale.

On retrouve une logique similaire dans les propositions qui visent à faire consacrer la légalisation du partage non-marchand entre individus des oeuvres, qu’il s’agisse des Éléments pour la Réforme du droit d’auteur de la Quadrature du Net ou du programme du Parti Pirate.

Si de telles réformes venaient à être mises en oeuvre, c’est l’ensemble du système du droit d’auteur qui serait modifié dans la logique des Creative Commons. Le régime juridique de base d’Internet deviendrait grosso-modo la licence CC-BY-NC et les auteurs pourraient toujours choisir d’aller plus loin en employant des licences encore plus ouvertes (CC-BY, CC-BY-SA, etc).

Rendez-vous dans dix ans, pour voir si cet horizon a été atteint !


Toutes les illustrations par Christopher Dombres (cc-by)
OWNI fêtera les dix ans de partage avec les Creative Commons à la Gaîté Lyrique samedi 15 décembre à partir de 14h.

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Le non commercial, avenir de la culture libre http://owni.fr/2012/10/18/le-non-commercial-avenir-de-la-culture-libre/ http://owni.fr/2012/10/18/le-non-commercial-avenir-de-la-culture-libre/#comments Thu, 18 Oct 2012 09:01:20 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=123011

Depuis le mois d’avril 2012, la fondation Creative Commons International a annoncé qu’une nouvelle version de ses licences (la 4.0) allait être publiée et un appel à commentaires a été lancé pour inviter la communauté à participer à la réflexion.

Des modifications importantes sont envisagées, comme le fait de globaliser les licences pour ne plus avoir à les adapter pays par pays, en fonction des législations nationales. Mais c’est une autre question qui s’est imposée dans les discussions : celle de la conservation ou non de la clause Non Commercial – Pas d’Utilisation Commerciale (NC).

Il s’agit à vrai dire d’un vieux débat qui divise le monde du libre depuis des années. A la différence des licences libres ou Open Source nées dans le secteur du logiciel, les licences Creative Commons proposent à leurs utilisateurs une option pour autoriser la réutilisation de leurs oeuvres, tout en maintenant l’interdiction de l’usage commercial.

Si l’on en croît le graphique ci-dessous, publié par Creative Commons dans la brochure The Power of Open, l’option NC est retenue par une majorité d’utilisateurs : 60% sur les quelques 450 millions d’oeuvres placées sous licence Creative Commons. Si l’on observe un site comme Flickr, la plateforme de partage de photographies, la tendance est plus forte encore : sur les 240 millions de photos sous licence Creative Commons que contient Flickr, 170 millions comportent une clause Non Commercial, soit 71%.

En dépit de cette large adoption, le monde du libre est agité de débats pour savoir si de telles clauses sont compatibles avec les exigences de la Culture libre et si elles ne devraient pas tout simplement être supprimées des choix offerts par les licences Creative Commons.

Quand les licences Creative Commons ont commencé à devenir visibles, la communauté du libre, familiarisée avec les problématiques du logiciel, a fraîchement accueilli ces clauses NC. Une partie de la communauté a alors considéré que les licences interdisant les usages commerciaux ne devaient pas être considérées comme des licences “libres”. Une autre appellation a été mise en place pour les distinguer, celle de licences “de libre diffusion”.

Un label spécial a même été établi – et accepté par Creative Commons International – celui “d’oeuvre culturelle libre“, proche des quatre libertés du logiciel libre, accordé seulement à certaines licences parmi celles que propose Creative Commons : la CC-BY (Attribution), la CC-BY-SA (Attribution – Partage dans les mêmes conditions, qui est la licence de Wikipédia) et la CC0 (versement volontaire au domaine public).

Beaucoup de critiques adressés à la clause non commerciale portent sur son imprécision et il est vrai que la formulation actuelle des licences peut paraître ambigüe :

L’Acceptant ne peut exercer aucun des droits qui lui ont été accordés à l’article 3 d’une manière telle qu’il aurait l’intention première ou l’objectif d’obtenir un avantage commercial ou une compensation financière privée. L’échange de l’Œuvre avec d’autres œuvres soumises au droit de la propriété littéraire et artistique par voie de partage de fichiers numériques ou autrement ne sera pas considérée comme ayant l’intention première ou l’objectif d’obtenir un avantage commercial ou une compensation financière privée, à condition qu’il n’y ait aucun paiement d’une compensation financière en connexion avec l’échange des œuvres soumises au droit de la propriété littéraire et artistique.

Qu’est-ce exactement qu’un “avantage commercial” ou une “compensation financière privée” ? Le  “non-commercial” est défini de manière à inclure le partage non-marchand de fichiers, mais la délimitation avec les activités commerciales reste incertaine. Conscient du problème, Creative Commons avait publié en 2009 un rapport sur la question, soulignant la difficulté à tracer la distinction entre commercial et non commercial, mais sans apporter de réelles solutions.

Pour la version 4.0, l’intention de départ sur ce point était seulement d’essayer de clarifier la définition du NC, mais le débat a dévié vers l’opportunité de supprimer purement et simplement l’option. Plusieurs voix importantes se sont élevées pour réclamer cette réforme, comme celle de Rufus Pollock, l’un des co-fondateurs de l’Open Knowledge Foundation. Il soutient notamment que la clause non-commerciale est incompatible avec la notion de biens communs.

En France, Framablog s’est fait l’écho de ces débats, en publiant une série de traductions en défaveur de la clause non-commerciale (1, 2, 3), suivi par Stéphane Bortzmeyer sur son blog.

A contrecourant de ce pilonnage en règle, je voudrais ici montrer que la suppression de la clause non-commerciale serait une très mauvaise idée pour la défense de la Culture libre. La notion de “non-commercial” revêt même une importance stratégique décisive pour l’avenir, dans la mesure où, au-delà des licences Creative Commons, elle sert de pivot aux grands projets globaux de réforme du système de la propriété intellectuelle.

Plutôt que de la saper, les communautés du libre devraient plutôt contribuer à la réflexion pour la rendre la plus opérationnelle possible. C’est l’avenir de la réforme du droit d’auteur qui passera par le non-commercial (ou ne passera pas…).

Le faux argument du flou juridique

Le principal argument employé contre la clause “non commercial” réside dans le fait que la notion serait floue et qu’elle génèrerait de fait une insécurité juridique trop importante. Tous les détracteurs mettent en avant l’imprécision dans leur critique et on la retrouve notamment  chez Eric Raymond, repris sur Framablog :

Ce pourquoi elle devrait être enlevée n’a rien à voir avec aucune profonde philosophie ou politique couramment apportées dans le débat, et tout à voir avec le fait qu’il n’y a pas de critère légal de démarcation pour “activité commerciale”. Cette mauvaise définition se reflète dans les débats pour le terme commercial, qui signifie transaction financière ou lucratif, et c’est l’exacte raison pour laquelle l’Open Source Definition interdit aux licences logicielles open source de disposer de restrictions similaires.

Le groupe fondateur de l’OSI, après avoir étudié la possibilité, a conclu que l’attribut “NC” au sein d’une licence open source créerait une trop grande confusion au regard des droits et obligations, de trop nombreux effets secondaires sur des comportements que nous ne souhaitons pas encourager, et trop d’ouvertures possibles pour les plaideurs compulsifs. Ce qui est uniquement une source de contentieux au sein de notre communauté pourrait se révéler destructeur pour elle si des tribunaux antipathiques venaient à prendre des décisions défavorables, même de faible portée.

La première chose que l’on peut relever, c’est que le risque évoqué des “plaideurs compulsifs” ne s’est pas réalisé, depuis 10 ans bientôt qu’existent les licences Creative Commons.

Copier, coller, respirer !

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Déformer, détourner, transformer, partager : le remix et le mashup nous enrichissent, à l'image de ...

Les procès ont été très rares (il n’y en a même aucun encore en France à propos des CC). Un certain nombre d’affaires cependant peuvent être citées ailleurs dans le monde, dans lesquelles les juges ont reconnu à chaque fois la validité des licences Creative Commons, lorsque des auteurs ont réclamé le respect des conditions qu’ils avaient fixées (pas du tout des plaideurs compulsifs donc, mais un usage “normal” et légitime des contrats que sont les Creative Commons).

Or plusieurs fois, les auteurs se plaignaient qu’un usage commercial avait été réalisé de leur oeuvres, alors qu’ils avaient fait le choix de les interdire par le biais d’une clause NC. Ce fut le cas en 2006 aux Pays-Bas (vente de photos par un magazine), en 2009 en Israël (photographies postées sur Flickr revendues incorporées à des collages), en 2009 encore en Belgique (reprise d’une musique dans une publicité pour un théâtre). Dans les trois cas, les juges n’ont eu aucune difficulté à établir que la clause NC avait été violée et les décisions n’ont pas fait l’objet d’un appel. Pas si mal, non, pour une clause jugée irréparablement imprécise !

La soi-disant imprécision du NC n’est en fait que relativement limitée. Il est vrai qu’elle affecte certains points importants : le fait de reprendre une oeuvre sur un site générant des revenus par le biais de publicités par exemple, ou encore celui d’utiliser une oeuvre dans un contexte pédagogique impliquant des échanges financiers (cours payant, formateur rémunéré, etc).

Mais pour l’essentiel, la définition du NC est largement opératoire. Un exemple intéressant à citer à ce propos réside dans le billet Complexité de la clause Non Commerciale des licences Creative Commons : la preuve par l’exemple, écrit par Evan Podromou et traduit par Framablog.

L’auteur liste une longue série de cas d’usages et essaie de montrer par ce biais l’imprécision de la clause NC. Mais il se trouve qu’en réalité, Evan Podromou apporte exactement la preuve inverse de celle qu’il voulait donner : dans la majorité des cas, il est capable de déterminer avec une certitude suffisante comment la clause doit être appliquée. Ce n’est que dans des hypothèses improbables et tarabiscotées que la clause est prise en défaut. Sur l’essentiel, elle tient largement la route :

  • Un éditeur télécharge un livre sous licence CC by-nc 2.0 sur internet, en fait un tirage de 100 000 exemplaires et le vend en librairies dans le pays. (Non)
  • Un particulier télécharge un livre sous licence CC by-nc 2.0 sur son ordinateur et le lit. (Oui)
  • Un particulier télécharge un livre sous licence CC by-nc 2.0 sur son ordinateur, l’imprime sur son imprimante, et lit le document imprimé. (Oui)
  • Un particulier télécharge un livre sous licence CC by-nc 2.0 sur son ordinateur et l’envoie par courriel à un ami. (Oui)
  • … et le partage avec le monde sur son site web. (Oui)
  • … et le partage avec le monde via un réseau P2P. (Oui)
  • Un particulier télécharge un livre sous licence CC by-nc 2.0 sur son ordinateur, l’imprime sur son imprimante et le donne à un ami. (Oui)

Après ça, je veux bien que l’on soutienne que l’idéologie ou la philosophie ne jouent aucun rôle dans le rejet de la clause NC, mais il me semble au contraire que l’idéologie a beaucoup de choses à voir avec la manière dont certains l’appréhendent, alors qu’une analyse juridique objective aboutit à de toutes autres conclusions.

Mettre en avant le flou juridique pour rejeter une notion, c’est aussi méconnaître profondément la manière dont fonctionne le droit lui-même. Le droit en réalité n’est jamais une matière “en noir et blanc”, même quand il utilise des catégories binaires. Il est rempli de “zones grises”, qui sont autant de marges de manoeuvre laissées aux juges pour adapter la règle de droit à la réalité, toujours mouvante.

Didier Frochot explique très bien sur le site les Infostratèges que ces zones grises du droit jouent en fait un rôle fondamental pour l’équilibre du système :

Les zones grises sont une inévitable conséquence du fait que le droit est une science humaine : rêver de supprimer ces zones reviendrait à enfermer les êtres humains dans ces règles strictes et à leur interdire de vivre et d’évoluer. C’est peut-être le cas sous des régimes autoritaires dans lesquels peu de place est laissée à la liberté de l’homme, mais dans des pays libres, c’est la rançon du respect des libertés fondamentales.

Dans les pays respectueux des libertés donc, le couple droit écrit — jurisprudence est là pour définir les grands principes par écrit et délimiter la frontière au coup par coup et à mesure de l’évolution de la société, afin de réduire le plus possible ces fameuses zones grises.

Frochot rappelle aussi que beaucoup de notions juridiques comportent une marge d’incertitude quant à leur application (l’originalité, la vie privée, la diffamation, l’injure, etc). Faut-il pour autant les supprimer ? Il ne resterait plus grand chose dans les Codes ! Et d’ajouter cet argument essentiel :

Mieux vaut considérer la vérité statistique : dans la majeure partie des cas, on sait précisément de quel côté de la frontière juridique on se trouve.

C’est le cas pour la clause NC, comme le démontre justement l’article de Framablog cité ci-dessus.

Par ailleurs, remarquons que les tenants de la suppression de la clause NC sont en général de farouches défenseurs du Partage à l’identique (Share Alike ou SA), autre option des licences Creative Commons. Or les effets de cette dernière sont tout aussi difficiles à déterminer, sinon davantage.

Un exemple éclatant en avait été donné lors de l’affaire Houellebecq contre Wikipédia, lorsque l’écrivain Michel Houellebecq avait été accusé d’avoir plagié des articles de Wikipédia en incorporant des extraits dans son roman sans citer la source. Les avis s’étaient partagés sur le point de savoir si l’effet viral de la licence CC-BY-SA de Wikipédia s’était déclenché à l’occasion d’une telle incorporation. Impossible de le déterminer : seul un juge en définitive aurait pu trancher avec certitude la question.

Supprimer la clause NC parce qu’elle est trop imprécise, pourquoi pas ? Mais si l’imprécision est la véritable raison, il faudrait aussi supprimer la clause SA !

Toutes les oeuvres ne sont pas des logiciels

Une source de confusions dans ce débat réside dans le fait que les détracteurs de la clause NC sont en général issus de la communauté du logiciel libre et ils restent fortement imprégnés de la logique particulière de ce domaine. Mais cette dernière n’est pas généralisable à l’ensemble des champs de la création, dans la mesure où toutes les oeuvres ne sont pas assimilables à des logiciels.

Dans le domaine du logiciel libre, la clause de Partage à l’identique (SA) joue en effet un rôle important de régulation, dans la mesure où elle se déclenche fréquemment en cas de réutilisation de l’oeuvre. En effet, lorsqu’un réutilisateur modifie une oeuvre pour en produire une nouvelle, la clause SA s’applique et l’oblige à placer l’oeuvre dérivée sous la même licence (effet viral). Dans le cas d’un logiciel, la clause se déclenche fréquemment lors d’une réutilisation, car pour utiliser un logiciel dans un autre contexte que celui d’origine, il est souvent nécessaire d’adapter le code. Cela induit un rapport particulier être les communautés développant les logiciels libres et le secteur marchand,  évitant que leurs créations soient réappropriées de manière exclusive. C’est aussi le cas pour les wikis, où l’usage même implique une modification, ce qui fait que la licence CC-BY-SA convient très bien à Wikipédia.

Mordre les photographes

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Mais pour les oeuvres non-logicielles, les hypothèses de déclenchement de la clause SA sont plus rares. L’auteur d’un roman par exemple ne pourra pas empêcher que son oeuvre soit vendue, telle quelle par un éditeur s’il la place simplement sous licence BY-SA. Pour la photographie, c’est encore plus le cas. Les photos peuvent facilement être réutilisées sans modification, comme illustrations. Dans cette hypothèse, le partage à l’identique ne se déclenche pas.

Le problème, c’est que lorsqu’on examine les modèles économiques des acteurs qui utilisent les licences Creative Commons, on constate que dans bien des situations, ils reposent sur la réservation de l’usage commercial. Pour un auteur de textes par exemple, il arrive que des éditeurs acceptent que des oeuvres soient publiées par leur soin en papier, tout en permettant que les versions numériques circulent en ligne sous licence Creative Commons. Mais cette hypothèse est déjà rare (tout le monde n’est pas aussi militant que Framabook !) et elle le serait encore davantage, s’il n’était pas possible de réserver les usages commerciaux avec des licences NC.

Il existe également des photographes (Trey Ratcliff, Jonathan Worth), qui font le choix de diffuser leurs clichés sur Internet sous licence Creative Commons. Ils utilisent les forces du partage pour gagner en notoriété et faire connaître leurs oeuvres. Mais leur modèle économique repose sur la possibilité de continuer à tarifier les usages commerciaux, qu’il s’agisse de publications dans des médias ou d’expositions. On peut supprimer la clause NC, mais quel modèle économique pourra alors être mis en place dans le champ de la photo, hormis peut-être le crowdfunding ?

Toutes les oeuvres ne sont pas des logiciels et certains secteurs ont besoin de la clause NC pour que se constitue une économie du partage.

Défendre le non commercial, au lieu de le dénigrer

Le problème de la clause NC n’est pas tant l’imprécision que la généralité et on peut reprocher à Creative Commons International de ne pas avoir fait suffisamment de choix concernant la définition.

Car il serait assez simple en définitive de trancher une fois pour toutes les incertitudes affectant la notion. La discussion sur le site de Creative Commons à propos du passage à la version 4.0 est instructive à cet égard. 12 propositions avaient été faites dont certaines auraient pu apporter de réelles améliorations. Par exemple, préciser explicitement si la diffusion sur un site comportant de la publicité est un usage commercial ou non. Ou déterminer si un usage pédagogique doit être considéré ou non comme non-commercial, même s’il implique des échanges monétaires.

Mais pour cela, il aurait fallu que la communauté Creative Commons soit en mesure de choisir et il semble que ce soit davantage ce problème de gouvernance qui bloque l’évolution de la définition de la clause NC. La fondation Creative Commons s’oriente visiblement vers un maintien en l’état de la clause NC, ce qui ne manquera de faire grincer des dents, mais paraît l’option la plus sage, faute de consensus.

D’autres propositions intéressantes sont sur la table. Dans ce billet traduit en français par Paul Netze sur son site Politique du Netz, Rick Falkvinge du Parti Pirate Suédois propose une autre forme de définition, orientée vers la nature de la personne en cause :

En définissant l’usage commercial comme un “usage par une entité légale qui n’est pas une personne naturelle ou une association à but non-lucratif”, vous l’appliquez uniquement aux entreprises à but lucratif. Vous permettez aux particuliers de vendre des disques à la sauvette au pied du camion, mais vous évitez les arnaques à grande échelle qui se règlent désormais dans les salons feutrés des cabinets d’avocat. Vous permettez aux gens de partager pour autant que cela n’équivaut pas à un emploi dans une entreprise. C’est la meilleure définition que j’ai vue jusqu’ici.

C’est une approche “organique”, mais on peut en concevoir d’autres d’ordre “matériel”, comme de réduire strictement le commercial à la vente du contenu. On peut aussi procéder de manière téléologique en définissant le commercial par le but lucratif.

Toutes ces hypothèses sont ouvertes, mais encore faudrait-il choisir !

Du commerce et des licences libres

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L’important cependant, c’est de défendre le non-commercial contre les tentatives majeures de distorsion qu’il pourrait subir. Ce fut le cas notamment avec l’accord passé l’an dernier entre la SACEM et Creative Commons. La SACEM a accepté que ses membres puissent placer certaines des oeuvres de leur répertoire sous CC. Elle limite cependant cette option aux licences CC comportant la clause NC, ce qui me paraît compréhensible étant donné la nature de l’acteur. Mais à cette occasion, la définition du non-commercial a été modifiée à la demande la SACEM pour recouvrir un nombre important d’usages publics (par exemple, la simple diffusion dans un espace accessible au public). C’est une dérive grave et on ne devrait pas laisser évoluer ainsi la définition du non-commercial !

Mais pour cela, il faudrait que les communautés du libre participent à la défense du non-commercial face à ce genre d’agressions, plutôt que de le dénigrer systématiquement. D’autant plus que le non-commercial est appelé à jouer un rôle stratégique majeur pour l’avenir, au-delà de la question des licences.

Le non commercial, nouvelle frontière de la réforme du droit d’auteur ?

La notion de non-commercial joue en effet un rôle clé dans les propositions les plus élaborées actuellement pour penser la réforme du droit d’auteur. Les Éléments pour une réforme du droit d’auteur et les politiques culturelles liées, soutenus par la Quadrature du Net, s’articulent autour de la légalisation du partage non-marchand. Philippe Aigrain propose une définition volontairement restrictive du non-marchand, se rapprochant de l’usage personnel, afin d’éviter la centralisation des fichiers :

Constitue un partage entre individus toute transmission d’un fichier (par échange de supports, mise à disposition sur un blog ou sur un réseau pair à pair, envoi par email, etc.) d’un lieu de stockage “ appartenant à l’individu ” à un lieu de stockage “ appartenant à un autre individu ”. “ Appartenant à l’individu ” est évident quand il s’agit d’un ordinateur personnel, d’un disque personnel ou d’un smartphone. Mais cette notion recouvre aussi un espace de stockage sur un serveur, lorsque le contrôle de cet espace appartient à l’usager et à lui seul (espace d’un abonné d’un fournisseur d’accès sur les serveurs de ce FAI, hébergement cloud si le fournisseur n’a pas de contrôle sur le contenu de cet hébergement).

Un partage est non-marchand s’il ne donne lieu à un aucun revenu, direct ou indirect (par exemple revenu publicitaire) pour aucune des deux parties. La notion de revenu est à entendre au sens strict comme perception monétaire ou troc contre une marchandise. Le fait d’accéder gratuitement à un fichier représentant une œuvre qui fait par ailleurs l’objet d’un commerce ne constitue en aucun cas un revenu.

Un même rôle décisif est alloué au non-commercial dans le programme du Parti Pirate, dont on retrouve les grandes lignes dans l’ouvrage The Case For Copyright Reform, traduit à nouveau en français par Paul Netze.

Nous voulons que le droit d’auteur redevienne ce pourquoi il a été conçu, et rendre clair qu’il ne doit réguler que les échanges commerciaux. Copier ou utiliser un travail protégé sans but lucratif ne devrait jamais être interdit. Le pair à pair est, entre autres, une bonne raison pour cette légalisation.

Et les auteurs, Rick Falkvinge et Christian Engström, insistent sur le caractère globalement opérationnel de la distinction Commercial/Non commercial :

Nous possédons déjà un arsenal juridique qui fait la distinction entre intention commerciale et non commerciale, incluant la législation sur le droit d’auteur telle qu’elle existe aujourd’hui. C’est une bonne chose que les tribunaux aient déjà établi une jurisprudence afin de déterminer ce qui est commercial ou pas [...] de façon générale, la limite entre activité commerciale et non commerciale est grossièrement à l’endroit où vous vous y attendiez.

Même Richard Stallman, libriste parmi les libristes, admet dans son projet global de réforme du système que la notion de non-commercial joue un rôle, pour les oeuvres d’art ou de divertissement !

Pour qu’il connaisse une évolution en profondeur, le système du droit d’auteur a besoin d’une réforme de grande ampleur. Il est clair que les projets politiques les plus élaborés ont besoin de la distinction entre le commercial et le non-commercial. D’une certaine manière, il s’agit même de la nouvelle frontière à atteindre. Dénigrer le non-commercial, en soutenant que la notion est vicieuse, c’est saper les chances qu’une telle réforme advienne. Lourde responsabilité à assumer…

Les lois actuelles, conçues pour l’environnement analogique, fonctionnaient sur la distinction entre l’usage privé (permis) et l’usage public (interdit). Avec le numérique, cette ancienne distinction n’est plus opérationnelle, dans la mesure où tout ou presque s’effectue “en public” sur Internet. C’est pourquoi le droit d’auteur a besoin d’une nouvelle grande distinction pour conditionner son application.

Et jusqu’à preuve du contraire, c’est la distinction commercial/non-commercial qui est la meilleure candidate pour ce rôle, en favorisant une immense libération des usages, tout en maintenant une sphère économique pour la création.

L’enjeu d’une Culture libre “mainstream”

Plaidoyer pour une culture libre

Plaidoyer pour une culture libre

Dans le cadre du Tribunal pour les générations futures organisé mardi par le magazine Usbek et Rica, Lionel Maurel a ...

Au-delà de cet argument essentiel, ce débat rejoint un autre enjeu fondamental, qui est celui de la diffusion des valeurs de la Culture libre. Si l’on reprend l’exemple de Flickr cité ci-dessus, on remarque que la plateforme comporte 240 millions de photographies sous CC… mais sur plus de 6, 5 milliards au total ! Soit un peu plus de 3,6% seulement. C’est certes en soi une masse importante de contenus réutilisables, mais certains y voient néanmoins le signe d’un certain échec des Creative Commons, au moins à devenir “mainstream”.

10 ans après leur création, les CC demeurent cantonnés à une communauté réduite d’utilisateurs. Combien d’entre eux reviendraient en arrière si on leur enlevait la possibilité d’utiliser le NC ? Peut-être pas tous, c’est certain, mais au moins une part importante. Veut-on encore réduire le cercle des utilisateurs, quand celui-ci a déjà du mal à s’étendre ?

Car le point de vue “libriste” pur et dur est encore moins partagé. Il reste nettement ancré autour de la communauté du logiciel libre, avec quelques extensions aux artistes, comme le groupe réunit autour de la licence Art Libre en France, ainsi qu’à la communauté des wikipédiens.  Il a en outre la fâcheuse tendance à fonctionner à coup de stigmatisations et d’exclusions, comme ce fut encore le cas récemment avec les critiques qui ont fusé contre Yann Houry, ce professeur qui a été le premier a créé un manuel libre et gratuit sur iPad, mais en choisissant une licence comportant le NC. Immédiatement,  le premier réflexe libriste a été de le descendre (horreur, l’iPad !). Pourtant, l’usage de cette licence a paru encore trop subversif à Apple, puisque la firme a demandé le retrait de l’ouvrage de l’Appstore. Preuve s’il en est que l’initiative faisait bien bouger les lignes !

A titre personnel, je rejette catégoriquement cette distinction entre des licences qui seraient libres ou non, parce qu’elles contiendraient une clause NC. Il n’y a pas le “libre” d’un côté et le reste, mais un processus graduel de libération des oeuvres, ou mieux, de mise en partage de la création.

Psychologiquement, le stade essentiel à passer pour mettre en partage son oeuvre n’est pas d’autoriser l’usage commercial. Il est en amont, dans le passage d’une logique où l’interdiction est première (copyright/Tous droits réservés), à une logique où la liberté devient la règle et la restriction l’exception (le principe de base des Creative Commons). C’est ce renversement mental qui fait entrer dans la Culture libre et pas en soi l’abandon du droit patrimonial.

Si les “libristes” souhaitent que les auteurs aillent plus loin, à eux de les convaincre. Mais que le choix soit toujours laissé in fine à l’auteur, ce qui passe par l’acceptation du maintien de la clause non-commerciale.

PS : à titre indicatif, l’auteur de ces lignes précise qu’il utilise constamment pour ses propres créations la licence CC-BY et qu’il n’a donc pas d’intérêt direct dans ce débat. La thèse défendue ici l’est au nom de l’intérêt général.


Photo par Mikeblogs [CC-BY]

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L’Open Data à la croisée des chemins juridiques http://owni.fr/2012/06/07/l%e2%80%99open-data-a-la-croisee-des-chemins-juridiques/ http://owni.fr/2012/06/07/l%e2%80%99open-data-a-la-croisee-des-chemins-juridiques/#comments Thu, 07 Jun 2012 10:17:26 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=112746

Les premiers bilans de l’Open Data en France, 6 mois après le lancement du portail data.gouv.fr, oscillent entre la reconnaissance des efforts consacrés par les administrations publiques à l’ouverture des données et le constat de lacunes persistantes, que ce soit au niveau technique ou de retombées réelles pour les citoyens.

Mais en matière d’Open Data, la dimension juridique est également essentielle et c’est ce que vient de rappeler le Conseil national du numérique (CNNum), en publiant cette semaine un avis [pdf] qui recommande d’apporter des modifications substantielles au cadre législatif français.

Open Data, un premier bilan français

Open Data, un premier bilan français

Six mois après le lancement du portail gouvernemental de libération des données publiques Etalab, de nombreuses ...


C’est la loi CADA du 17 juillet 1978, qui pose les grands principes en la matière, modifiée à l’issue de la transposition en 2005 d’une directive européenne concernant la réutilisation des informations du secteur public.

Longtemps, le débat en France a tourné autour des questions de licences employées par les administrations pour libérer leurs données et de leur compatibilité, à la fois avec les principes de l’Open Data qu’avec les exigences de la loi du 17 juillet 1978. Cette question contractuelle tend aujourd’hui à passer au second plan, l’essentiel des initiatives françaises ayant choisi d’opter soit pour la Licence Ouverte d’Etalab, soit pour l’ODbL proposée par l’Open Knowledge Foundation.

Néanmoins, comme l’indique le Conseil national du numérique dans son avis, c’est sans doute au niveau législatif que les questionnements pourraient à présent glisser, et, au-delà, au niveau communautaire, puisqu’une proposition de révision de la directive sur les informations du secteur public a été avancée par la Commission européenne en décembre 2011[pdf]. Il est intéressant de confronter les recommandations du CNNum avec les orientations possibles de la future directive européenne, pour essayer de cerner les différents chemins juridiques qui s’ouvrent pour l’Open Data.

Conforter le droit à la réutilisation des informations publiques

La première recommandation du CNNum consiste à imposer progressivement aux administrations l’obligation de publier d’elles-mêmes leurs données, alors que la loi de 1978 les oblige seulement à les communiquer sur demande. Il s’agirait en effet d’une avancée indiscutable, mais en la matière, il faut cependant voir que la France est en quelque sorte en avance au sein de l’Union européenne, car la loi de 1978 reconnaît un véritable droit au profit des citoyens à la réutilisation des informations publiques, dès lors que les documents qui les contiennent sont accessibles.

La directive européenne de 2003 n’allait pas si loin, dans la mesure où elle laissait la possibilité aux Etats ou aux administrations de décider quelles informations ils souhaitent rendre réutilisables ou non. Comme le dit Katleen Janssen dans une analyse d’avril 2012 [pdf], la directive “ne créait donc pas un droit plein et entier à la réutilisation” et cette limitation a pu constituer un frein important à la réutilisation des données publiques en Europe.

Pour lever cet obstacle, la Commission recommande une modification de la directive qui exigera que toutes les informations accessibles puissent être réutilisées, aussi bien à des fins non-commerciales que commerciales. Les seules restrictions qui persistent concerneront la protection des données personnelles ou des droits de propriété intellectuelle de tiers. D’une certaine façon, l’Union européenne s’aligne en la matière sur des principes que la France a déjà mis en oeuvre dans sa législation dès la transposition de 2005 et il faut reconnaître que notre droit avait déjà franchi cette étape.

La gratuité comme objectif

En ce qui concerne la question de la gratuité, le CNNum et la Commission ont des approches un peu différentes, mais qui tendent toutes les deux à étendre le champ de la réutilisation gratuite des données.

En France, comme le rappelle le CNNum, la gratuité a été fixée comme un principe par la circulaire du 26 mai 2011 qui a créé le portail data.gouv.fr. Ce texte  demande aux ministères et aux établissements publics relevant de leur tutelle de diffuser leurs données via le portail unique de l’Etat , en recourant à la Licence Ouverte qui permet la réutilisation gratuite, y compris à des fins commerciales.

La France entr’ouverte

La France entr’ouverte

L'État a lancé son site data.gouv.fr. La France, enthousiaste, ouvre donc ses données publiques comme les États-Unis. ...

Selon cette même circulaire, les administrations ne pourront plus après le 1er juillet 2012 instaurer d’elles-mêmes une redevance pour la réutilisation des données. Cela ne sera possible que par le biais d’un décret du Premier Ministre et à condition de pouvoir avancer des “éléments dûment motivés” considérés comme pertinents par le Conseil d’Orientation de l’Edition Publique et de l’Information Administrative (COEPIA). Pour renforcer encore cette dynamique de gratuité, le CNNum propose d’appliquer également cette procédure aux redevances instituées avant le 1er juillet 2012, afin de réexaminer leur bien-fondé au regard des évolutions actuelles.

La proposition de directive européenne ne va pas de son côté jusqu’à proclamer un principe de gratuité en matière de réutilisation des informations publiques. Elle laisse, comme c’est le cas actuellement, la faculté aux administrations de décider d’instaurer des redevances, mais elle introduit des principes plus stricts que jusqu’alors en matière de calcul des tarifs. En principe, les redevances ne devront pas excéder “le coût marginal de reproduction et de diffusion“, ce qui empêchera aux administrations de rechercher à dégager des bénéfices importants et peut les inciter fortement à autoriser la réutilisation gratuite des données.

Comme le relève le CNNum, ces préconisations sont plus restrictives que l’actuelle loi française qui permet aux administrations de tenir compte des coûts de collecte et de production, mais aussi d’inclure dans la redevance “une rémunération raisonnable de ses investissements“.

Des licences ouvertes, mais les formats ?

En ce qui concerne la question des licences, la proposition de directive européenne contient une consécration de cette démarche contractuelle inspirée des licences libres, alors que certains avaient pu douter un temps qu’elle soit vraiment compatible avec le régime légal de la réutilisation des données.

La Commission indique que “les organismes du secteur public peuvent autoriser la réutilisation sans conditions ou poser des conditions, telle qu’une indication de la source, le cas échéant par le biais d’une licence”. Cette modification ouvre la voie à l’adoption de licences très ouvertes, telle la Creative Commons Zéro (CC0) et conforte la licence ouverte créée par Etalab.

En ce qui concerne les formats en revanche, on peut regretter un manque de volontarisme aussi bien du côté de la directive que du CNNum. La proposition de révision de la directive impose l’obligation de diffuser les données dans des formats “lisibles par des machines”, mais elle n’indique pas que ces formats doivent être libres et non propriétaires. Pareillement, le CNNum propose que soit mis en place un Référentiel Général de Réutilisabilité des données publiques, qui comportera des indications concernant les formats, mais ne donne pas de recommandation forte en faveur des formats ouverts.

Conjurer l’ #EPICFAIL en matière d’Open Data

En revanche, le CNNum fait preuve d’audace en s’attaquant à une des limitations les plus importantes au développement de l’Open Data en France. Il préconise en effet que le droit à la réutilisation des données publiques soit étendu à celles produites par des SPIC (Services Publics à caractère Industriel et Commercial), alors que la loi du 17 juillet 1978 considère pour l’instant qu’il ne s’agit pas d’informations publiques.

Or de nombreux EPIC (Établissements Publics à caractère Industriel et Commercial) disposent de données particulièrement intéressantes pour l’Open Data, comme c’est le cas de la SNCF, du CNES, de l’ONF, de l’IGN, de l’IFREMER et d’autres encore. La restriction de la loi de 1978 n’a certes pas empêché un établissement comme la SNCF de se lancer dans une démarche d’Open Data, mais elle l’a fait sur une base purement volontaire (et avec certaines frictions du côté des licences).

(cliquez sur la photo pour la version PDF) Une des nouvelles proposition de cartes du métro de Paris lors du concours lancé par Check My Metro - Plan de Nojhan. Vote du Jury : Plan d’Argent.

Le régime particulier des EPIC a pu conduire aussi à des #EPICFAILS (;-), comme ce fut le cas en 2011 avec l’épisode rocambolesque du conflit entre la RATP et CheckMyMetro. On peut du coup se réjouir de la proposition faite par le CNNum, tout en restant conscient que la question de la tarification des réutilisations pourra néanmoins continuer à se poser.

L’épineuse question des données culturelles

C’est également une des prises de positions du CNNum les plus fortes que celles qu’il avance à propos des données culturelles. A l’heure actuelle, les données culturelles relèvent elles aussi d’un régime dérogatoire, dénommé “exception culturelle”,  qui découle de la directive européenne. J’ai déjà eu l’occasion sur Owni de montrer que ce régime d’exception soulève de réelles difficultés et qu’il provoque une marginalisation des données culturelles au sein du mouvement d’Open Data en France.

Le CNNum partage cette analyse et déplore la sous-exploitation des données culturelles, qui sont pourtant par leur richesse particulièrement propices à la réutilisation. Considérant que leur nature ne justifie pas qu’elles soient traitées à part, il recommande que l’exception culturelle soit purement et simplement levée et que les données culturelles réintègrent le régime général de la loi de 1978.

Mieux encore, le CNNum condamne une des dérives les plus criantes de l’emploi du droit des données publiques en France. En effet, certains établissements culturels utilisent ce droit pour empêcher la réutilisation à des fins commerciales des oeuvres du domaine public qu’ils numérisent, à moins de payer une redevance. D’autres utilisent le droit de la propriété intellectuelle pour “reprivatiser” le domaine public en s’arrogeant un droit sur les images scannées. Le CNNum déplore ces pratiques et c’est sans doute la première fois en France qu’une position officielle s’élève aussi nettement en faveur de la défense du domaine public.

Des données culturelles à diffuser

Des données culturelles à diffuser

La libération des données est loin d'être complètement acquise en France. Si le portail Etalab est une première étape, ...

Mais hélas, en matière de données culturelles, la proposition de révision de la directive européenne s’avère plus décevante et elle pourrait même conduire à une régression en France. En effet, en apparence, la nouvelle directive propose également de considérer les données des bibliothèques, des musées et des archives comme des informations réutilisables, ce qui supprime la fameuse exception culturelle. Mais plus loin, et de manière assez contradictoire, le texte réintroduit des règles spécifiques en ce qui concerne les données produites par ces établissements, et elles ne vont pas dans le sens de l’ouverture.

Par exemple, pour les informations sur lesquelles les bibliothèques, musées et archives détiennent eux-mêmes des droits de propriété intellectuelle, ces établissements pourraient toujours continuer à décider de permettre ou non a priori la réutilisation des données. De telles dispositions appliquées en France constitueraient une régression, car la  jurisprudence administrative a déjà décidé que l’exception culturelle ne permettait pas, par exemple, à un service d’archives de s’opposer à la réutilisation de données numérisées par une entreprise.

Par ailleurs, la proposition de directive indique que par dérogation avec les principes généraux qu’elle énonce, les établissements culturels pourraient continuer à fixer des tarifs de réutilisation des données supérieur “aux coûts marginaux de reproduction et de diffusion” qu’elle fixe comme limite aux autres administrations. Il n’y a pas pire signal à envoyer aux établissements culturels, qui cèderont sans doute à la tentation de monétiser leurs données, ce qui continuera à les couper de l’Open Data. La CADA avait pourtant déjà interdit aux services d’archives de fixer des tarifs trop élevés et là aussi, la nouvelle directive constituerait une forme de régression.

On peut franchement déplorer le manque de cohérence de la proposition de révision de la directive en matière de données culturelles et espérer que ces aspects soient modifiés avant son adoption.

Les données publiques, des biens communs ?

Il y a une question relative à l’Open Data qui n’est abordée ni par le CNNum, ni par la proposition de révision de la directive et qui me paraît pourtant correspondre à un véritable enjeu.

Le cadre juridique n’envisage pour l’instant, ni au niveau européen, ni au niveau national, la possibilité d’appliquer une clause de partage à l’identique (Share Alike) en cas de réutilisation de données publiques, à l’image de ce qui caractérise le Copyleft dans le domaine du logiciel libre. Une clause de ce type impose à celui qui réutilise des éléments de placer ses propres enrichissements sous la même licence, afin de conserver le caractère ouvert et réutilisable prévu par la licence initiale. Appliquée aux données publiques, une telle démarche signifie qu’en cas de réutilisation, une firme serait par exemple obligée de placer les bases qu’elles auraient constituées sous une licence ouverte et de permettre elle aussi la réutilisation des données en les reversant à une sorte de “pot commun” où d’autres pourraient venir puiser.

Certaines administrations françaises, au niveau local, ont déjà opté pour cette logique du partage à l’identique, en choisissant de placer leurs données sous la licence ODbL, qui comporte une telle clause virale. Mais au niveau des administrations centrales, cette démarche est pour l’instant impossible, car la Licence Ouverte de data.gouv.fr n’impose pas le Share Alike, mais seulement la mention de la source.

Certains estiment que le partage à l’identique serait nécessaire pour constituer les données publiques en biens communs et empêcher qu’elles soient réappropriées de manière définitive par des acteurs privés. On évoluerait ainsi vers une approche moins “libérale” de l’Open Data et des rapports économiques plus équilibrés entre le public et le privé. Force est de constater que cette dimension ne figure ni dans les recommandations du CNNum, ni dans la proposition de directive, mais la situation pourrait être modifiée si le partage à l’identique était au moins proposé commune option dans la Licence Ouverte de data.gouv.fr.

Au niveau européen, on peut même se demander si l’ajout d’un Share Alike par le biais d’une licence est bien compatible avec les orientations de la nouvelle directive, dans la mesure où celle-ci indique que conditions posées par les licences ne doivent pas “limiter indument les possibilités de réutilisation“.

Doit-on faire de l’Open Data la règle ?

Dans une chronique précédente, j’avais évoqué les recommandations du réseau européen Communia, qui préconisait de faire de l’Open Data un principe général applicable par défaut au données publiques. Pour ce faire, Communia recommandait :

1) de recourir à des licences les plus ouvertes possibles, afin de rapprocher au maximum le régime juridique des données publiques du domaine public ;

2) de rendre obligatoire la diffusion des données dans des formats ouverts, lisibles par des machines ;

3) d’affirmer un principe de gratuité en matière de réutilisation des données publiques.

Les recommandations du CNNum et la proposition de révision de directive contiennent des orientations fortes en ce sens, mais ils ne vont ni l’un, ni l’autre jusqu’à consacrer l’Open Data comme un principe général. Cela signifie que l’Open Data restera encore dans les années à venir avant tout une question de volonté politique et non la simple conséquence d’une obligation juridique.


Photo par Tim.tom [CC-byncsa] ; Plan du métro par Nohjan via CheckMyMetro et via sa galerie Flickr [CC-bysa]

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http://owni.fr/2012/06/07/l%e2%80%99open-data-a-la-croisee-des-chemins-juridiques/feed/ 7
Exposition d’art très libéré http://owni.fr/2012/05/29/exposition-dart-tres-libere/ http://owni.fr/2012/05/29/exposition-dart-tres-libere/#comments Tue, 29 May 2012 15:58:16 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=111653 Il y a deux semaines, une exposition d’art contemporain atypique, baptisée Capturée À l’Ecran Une Oeuvre Libre Reste Libre, était présentée par Antoine Moreau dans l’espace En cours à Paris.

Si les licences libres sont utilisées aujourd’hui dans le cadre de nombreux projets artistiques, il est plus rare de croiser des artistes qui intègrent véritablement dans leur processus créatif les mécanismes de fonctionnement des licences et se servent comme d’un matériau des libertés qu’elles procurent. C’est pourtant ce qu’Antoine Moreau, “artiste peut-être comme il se définit lui-même dans sa bio et initiateur en France de la Licence Art Libre, s’emploie à faire au fil des œuvres qu’il conçoit.

Rédigée en 2000(soit deux ans avant les Creative Commons), la licence Art Libre constitue une licence Copyleft, par laquelle le titulaire des droits sur une œuvre donne l’autorisation de la copier, de la diffuser et de la transformer librement, à condition de placer les oeuvres dérivées produites sous la même licence (effet viral). Ainsi, au fil des réutilisations et de la productions d’oeuvres “conséquentes” comme le dit joliment le texte de la licence, la liberté initialement conférée par le premier auteur se transmet et demeure, sans que quiconque puisse se réapproprier de manière privative les contenus partagés.

Le logo de la licence Art Libre sur Wikimedia Commons (est lui-même sous licence Art libre...)

Dans son exposition, Antoine Moreau a choisi de prendre pour point de départ cette liberté procurée par la licence pour créer un dispositif, entièrement copié et entièrement copiable, qui place le visiteur dans une situation inédite et interroge son rapport à l’oeuvre.

Le matériau de base de l’installation est composé de 44 captures d’écran, réalisées à partir d’une des 70 504 oeuvres sous licence Art Libre figurant sur Wikimedia Commons. Antoine Moreau a sélectionné des portraits photographiques dont il a réalisé des captures d’écran avec son ordinateur, à partir de la page de présentation dans Commons. Pour réaliser ces reproductions, Antoine Moreau s’est fixé comme directive de cadrer l’image de manière à faire apparaître en bas la mention de la licence Art Libre. Cette contrainte donne ainsi naissance à des images étranges, où le sujet des photographies peut être tronqué de manière arbitraire, comme celle qui figure ci-dessous.

Antoine Moreau, capture écran de « Zimmer EMA.jpg », Constance Zimmer at the 21st Annual Environmental Media Awards in October 2011, de loft, 3 novembre 2011, copyleft Licence Art Libre

Comme ces photos ont été initialement placées par leurs auteurs sous licence Art Libre, Antoine Moreau n’avait pas besoin de demander leur autorisation pour les incorporer à son exposition. Il a simplement envoyé un mail pour les informer de la réalisation de cette installation et les remercier de l’avoir rendue possible en choisissant d’utiliser la licence Art Libre.

Dans l’espace mis à sa disposition, Antoine Moreau a ensuite disposé sur les murs les impressions de ces captures d’écran, environnées par les tirages des photographies originales téléchargées depuis Wikimédia Commons, ainsi que par ces mails envoyés aux auteurs.

Les photographies étant incorporées dans une exposition constituant une oeuvre dérivée, l’effet viral de la licence se déclenche et les captures d’écran réalisées par l’artiste doivent donc elle-même être placées sous la même licence, ainsi que le dispositif dans son ensemble. C’est ce qu’Antoine Moreau a fait, en inscrivant une mention en bas de page sous chacune de ses captures d’écran. Ainsi est réalisé ce qui était annoncé par le titre même de l’exposition : Capturée à l’écran une œuvre libre reste libre.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là : comme l’indique le mode d’emploi de l’exposition [PDF] affiché sur la porte d’entrée, Antoine Moreau a mis à disposition des visiteurs un grand nombre de moyens de réaliser eux-mêmes des copies des oeuvres présentées et les a intégrés comme des éléments à part entière de la scénographie de l’exposition.
Des netbooks permettent par exemple de télécharger sur une clé USB les fichiers ayant servi à réaliser l’exposition.

Un poste informatique couplée à une imprimante offre la possibilité de réaliser des impressions ou des posters. Une PirateBox, rebaptisée pour l’occasion CopyleftBox, permet de télécharger des fichiers en wifi via son smartphone ou son ordinateur portable.

Et comme les photographies originales et les captures d’écrans sont placées sous licence Art Libre, rien n’empêche également les visiteurs d’effectuer eux-mêmes des photographies avec leur téléphone ou leur appareil personnel.

Toutes ces reproductions sont possibles, en toute légalité, à condition de les placer elles-mêmes  en cas de rediffusion sous la licence Art libre. Des exemplaires imprimés de cette dernière figuraient d’ailleurs logiquement sur une étagère, puisque la licence constitue la clé de voûte et la condition de possibilité de l’oeuvre toute entière.

Sous ses dehors minimalistes, cette exposition constitue un très bel objet de médiation juridique et esthétique, soulevant de nombreuses questions.

En la visitant, j’ai par exemple immédiatement pensé à plusieurs expositions d’art contemporain, organisées ces derniers mois, dont le principe consistait également à reprendre des contenus sur Internet.

L’exposition “From here On”par exemple, organisée l’an dernier dans le cadre des Rencontres d’Arles, s’était signalée en soulevant une vive polémique. Sous l’égide de cinq commissaires prestigieux, dont le photographe mondialement célèbre Martin Parr, une quarantaine de jeunes artistes avaient été invités à piocher des photographies sur Internet pour produire des oeuvres en forme de clin d’oeil numérique aux Ready-Made de Duchamp et aux démarches appropriationnistes qu’il a inspirés. Mais dans le contexte des Rencontres d’Arles, cette invitation au recyclage et au copié/collé avait quelque chose de provocant. Des photographes professionnels avaient en effet organisé en marge du festival une marche funèbre pour enterrer le droit d’auteur, pour s’opposer à la réutilisation sauvage de leurs photographies en ligne et réclamer une intervention des pouvoirs publics.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une autre exposition vient de s’achever à Bâle en Suisse, intitulée Collect the WWWorld : the Artist as Archivist in the Internet Age, reposant sur le même principe de la récupération de photographies en ligne. Présentée par son commissaire comme une déclinaison numérique de l’appropriationnisme en art, l’exposition fleurte elle-aussi avec la provocation, les artistes invités n’ayant pas hésité à reprendre largement des contenus produits par des amateurs pour composer de nouvelles créations

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si l’on peut se réjouir de voir ainsi les artistes contemporains s’emparer de pratiques comme le Remix ou le Mashup, j’y vois cependant une grande différence avec le travail d’Antoine Moreau. Pour réaliser leurs oeuvres, les artistes ayant participé à ces deux expositions ont violé massivement les droits d’auteur des producteurs de ces images et les ont incorporé à leurs propres créations sans leur consentement. Bien qu’ayant violé le droit d’auteur en amont, cela n’a pas empêché ces artistes en aval du processus de mettre ces créations sous copyright, bloquant toute forme de réutilisation par le public ou par d’autres artistes.

Pour démontrer l’absurdité de se prétendre propriétaire de l’image du soleil, Pénélope Umbrico, l’une des artistes exposées à Arles, pousse ainsi la provocation jusqu’à constituer un montage de 36 Copyrighted Suns, récupérés sur des sites de microstocks photos. Mais elle-même signe  cette oeuvre de son nom et y appose son copyright… Paradoxe !

36 Copyrighted Suns / Screengrabs, 2009-2012 by Penelope Umbrico.

Au final, ces expositions qui se veulent provocatrices le sont-elles tant que cela ? Ne se contentent-elles pas de jouer avec le cliché romantique et éculé d’un artiste que son génie placerait “au-dessus” des lois et qui serait obligé de choquer par la transgression pour attirer l’attention ?

Ce genre de postures se retrouvent d’ailleurs assez fréquemment parmi les photographes contemporains, dont certaines figures jouent de cette attitude provocatrice, voire méprisante. Richard Prince par exemple s’est fait une spécialité de récupérer des images, comme celle du célèbre cowboy Malboro, pour les incorporer dans ses propres créations. Mais récemment, cet artiste a été attaqué en justice par le photographe Patrick Cariou , qui lui reproche d’avoir utilisé sans son autorisation 41 de ses clichés dans une série de collages intitulée Canal Zone, vendus à prix d’or. Je suis en temps normal assez porté à défendre les réutilisations créatives et les pratiques comme le Remix, mais l’attitude de Richard Prince ne correspond manifestement pas à l’idée d’usage loyal (fair use), qui peut servir de base légale à la réutilisation des contenus. A aucun moment par exemple, Richard Prince n’a crédité Patrick Cariou et il s’est même refusé à citer son nom durant toute l’audience du procès, préférant le désigner en disant seulement “him” (lui/il), avec beaucoup d’arrogance.

On mesure alors ici la différence avec la démarche d’Antoine Moreau, qui est empreinte de respect, à la fois pour la règle de droit puisque les licences sont bien respectées, mais aussi pour les auteurs des photos originales, qui sont dûment crédités et remerciés.

Sa démarche contraste également avec l’attitude d’un Michel Houellebecq, qui avait été accusé en 2010 d’avoir “plagié” plusieurs passages de Wikipédia, sans l’indiquer, ni créditer les auteurs des articles originaux, en les incorporant dans son roman La Carte et le Territoire, récompensé par le prix Goncourt. L’auteur s’était défendu en invoquant une forme de “licence poétique”qui le placerait au dessus du respect des conditions posées par la licence CC-BY-SA utilisée par Wikipédia. Il aura fallu toute la patience et la persévérance de Wikimedia France pour obtenir de l’auteur et de Flammarion, l’éditeur du roman, que Wikipédia et ses contributeurs soient remerciés dans les crédits de la version numérique du livre !

Par comparaison avec toutes ces situations pathologiques que provoque la réutilisation des contenus par des artistes, avec en fond de toile la crise du droit d’auteur que nous traversons, c’est peut-être justement par son caractère paisible que se démarque l’exposition d’Antoine Moreau.

Ce qui est subversif aujourd’hui, ce n’est pas de transgresser le droit d’auteur, geste banal  commis chaque jour par des milliers d’internautes, mais au contraire d’inscrire son art dans un cadre juridique apaisé et d’offrir cette paix aux visiteurs. Paisible, cette exposition l’est en amont, vis-à-vis des auteurs des images réutilisées ; elle l’est également en aval vis-à-vis des visiteurs, qui peuvent réaliser des reproductions en toute légalité. Et là encore, quel contraste avec ce qui se produit aujourd’hui dans la plupart des musées ou des galeries, où les visiteurs sont empêchés de réaliser des photographies, y compris pour des oeuvres depuis longtemps tombées dans le domaine public comme c’est le cas au Musée d’Orsay
Ce que montre cette exposition, c’est que l’ensemble des pathologies actuelles liées à l’acte de reproduction pourraient s’atténuer pour donner place à des pratiques paisibles, si le cadre juridique était adapté. Même un objet aussi subversif que la fameuse PirateBox s’intègre ici au dispositif en toute tranquillité !

Et j’irais plus loin encore en faisant un parallèle entre l’exposition d’Antoine Moreau et le tableau Les Ménines de Vélasquez (n’ayons peur de rien !).

Les Ménines. Diego Velasquez. Domaine Public. Source : Wikimedia Commons

Michel Foucault, dans le chapitre introductif de son ouvrage Les Mots et les Choses, fait de ce tableau un emblème de ce qu’il appelle “l’âge de la représentation”, en référence à la manière dont les savoirs s’organisent à la période classique, durant laquelle cette toile a été peinte par Vélasquez. En effet, Les Ménines mettent en scène la notion de représentation, en plaçant le spectateur dans la position de l’objet représenté : le roi et la reine d’Espagne que l’on voit se refléter dans le miroir au fond de la pièce.

Parallèlement, l’exposition d’Antoine Moreau peut être vue comme un emblème de “l’âge de la reproduction et de l’appropriation numériques” que nous traversons. Bien mieux que les deux expositions provocatrices citées ci-dessus, elle place en effet le visiteur au centre du dispositif, dans la position de pouvoir entièrement reproduire et rediffuser l’exposition dans chacun de ses éléments.
En cela, elle positionne le visiteur au même niveau que l’artiste et illustre ce “pouvoir des amateurs” que les outils numériques nous confèrent et qui nous met tous en mesure de créer, dont Wikipédia constitue sans doute la plus belle expression.

Que ferons-nous de cette liberté qui nous est donnée ?


Photos et illustrations par Penelope Umbrico, Antoine Moreau, Velasquez “Les Ménines” [Domaine public], via Wikimedia, logo licence art libre via Wikimedia

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Les bonnes recettes du libre http://owni.fr/2012/05/16/les-bonnes-recettes-du-libre/ http://owni.fr/2012/05/16/les-bonnes-recettes-du-libre/#comments Wed, 16 May 2012 08:49:23 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=110122

"Quelques bourgeons d'espoir dans cet interminable hiver de la propriété intellectuelle que nous subissons"Calimaq

Dans les débats concernant le droit d’auteur et l’avenir de la création, la question du financement revient de manière lancinante et l’ont remet souvent en cause la capacité des pistes alternatives à assurer aux artistes les moyens de créer et de diffuser leurs productions. Et d’en tirer un revenu. Voici pourtant quatre exemples de  créateurs, ayant fait le choix de la Culture libre, qui démontrent que le système classique du droit d’auteur n’est pas la seule voie pour atteindre le succès, à l’heure du numérique.

Du domaine public volontaire aux licences de libre diffusion en passant par le Copyleft, les moyens juridiques mis en œuvre par ces expérimentateurs sont variés, mais ils mettent tous à profit l’ouverture offerte par les licences libres pour maximiser la diffusion de leurs créations sur les réseaux et entrer dans de nouvelles formes de relations avec leur public.
Ces quatre exemples sont tirés de champs différents de la création : la musique, la peinture, le livre et le cinéma d’animation. Et vous allez voir que contrairement à une autre idée reçue, la qualité est au rendez-vous.

Enjoy, Share, Remix et surtout inspirez vous !

Dans les charts

Le musicien Dan Bull a réussi la prouesse cette semaine de parvenir à faire entrer son morceau Sharing is Caring à la 9ème place des charts en Angleterre dans la catégorie Indie et à la 35ème place dans la catégorie RnB.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Artistes contre le droit d’auteur

Artistes contre le droit d’auteur

En renonçant à certains droits sur leurs œuvres, quelques artistes ont fait œuvre de pédagogie. En militant pour un ...

Pour diffuser ce morceau de hip-hop en faveur du partage, Dan Bull a fait le choix d’utiliser l’instrument le plus ouvert parmi ceux proposés par Creative Commons, à savoir le waiver CC0 qui permet de verser par anticipation une oeuvre au domaine public, en renonçant à toutes formes de droit sur sa création.

En cela, il rejoint la démarche de ces “Artistes contre le droit d’auteur” dont j’avais eu déjà l’occasion de parler sur OWNI.

Dans une interview accordée à Creative Commons UK, Dan Bull explique utiliser le sens de sa démarche :

J’ai choisi d’utiliser CC0 parce que je ne crois pas à la validité de la propriété intellectuelle. Un morceau de musique est une idée. Sous forme numérique, c’est une suite de 1 et de 0. Qui suis-je pour dire à une autre personne qu’il est interdit d’avoir une idée ou de manipuler une certaine séquence de 1 et de 0, simplement parce que j’ai eu cette idée avant elle ? Cette manière de penser me paraît perverse. La première personne qui a eu une idée n’est pas forcément la mieux placée pour l’utiliser, et c’est pourquoi le fondement même des lois sur le droit d’auteur est contestable.

Dan Bull possède déjà un lourd passé d’activisme musical dans le domaine de la culture libre, puisque c’est déjà à lui que l’on devait déjà ce rap vengeur Death of ACTA , écrit en réaction au traité liberticide, dont on espère que le titre sera prémonitoire !

Avec Sharing is Caring, Dan Bull a voulu prendre le système à son propre jeu : bien qu’il n’accorde aucune valeur particulière aux classements des charts, il voulait démontrer qu’une musique créée en dehors du système classique du droit d’auteur et sans le soutien des industries culturelles pouvaient se hisser dans le top des ventes.

Dan Bull a donc mis son morceau en partage  gratuitement en torrent sur Pirate Bay, mais dans le même temps,  il a choisi une diffusion multi-canaux et multiforme pour en maximiser la dissémination et l’audience. Le fichier était parallèlement proposé à la vente sur iTunes, Play.com et Amazon, et dans le même temps, il était largement partagé sur les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion comme Youtube. Trois versions différentes du même morceau ont même été réalisées spécialement pour Facebook, Twitter et Google +.

Au delà de cette première trilogie, Dan Bull a diffusé 10 versions de Sharing is Caring, avec notamment des versions a capella et instrumentales, pour encourager les remix et les mashups. Pour pousser les ventes, l’artiste promettait aux fans qui achèteraient les dix versions toutes d’être cités dans une vidéo de remerciement.

Et voilà comment on obtient un succès commercial, en misant sur la dissémination virale à l’oeuvre sur les réseaux et en associant le public à sa propre création. Là où Dan Bull est parvenu à faire la parfaite démonstration de son propos, c’est que finalement  l’un des remix, une version reagge réalisée par Animal Circus, a terminé plus haut encore dans les charts que le morceau original, à la première place de la catégorie Reggae et à la seconde place de la catégorie World Music.

Qui a dit qu’on ne pouvait plus vendre de la musique ! Et cette démarche préfigure sans doute très bien ce qui se passerait pour les artistes si un système de licence globale, légalisant le partage était consacré par la loi…

Libre

La Culture libre comptait déjà certains artistes emblématiques, comme le romancier Cory Doctorow ou la dessinatrice Nina Paley, dont chaque création est ancrée dans l’esprit particulier d’ouverture et d’innovation que promeuvent les licences libres. Mais j’ai été particulièrement heureux de découvrir ces derniers temps l’œuvre de la portraitiste américaine Gwen Seemel, dont la démarche globale est particulièrement exemplaire et stimulante.

Autoportrait de Gwen Seemel (Second Face, par Gwen Seemel. 2009)

Tout comme Nina Paley avait pu le faire, Gwen Seemel n’a pas choisi d’utiliser les licences libres, mais plutôt de se placer littéralement en dehors du droit. Au pied de son son site, on ne trouve pas un symbole ©, mais un petit visage souriant conduisant le visiteur vers cette mention :

I am happy for you to copy and display my work, and you are welcome to create derivative works using my images. I would love it if you gave me credit when you do so.
(Je me réjouirais si vous copiez et diffusez mon oeuvre et je vous encourage à créer des oeuvres dérivées en utilisant mes images. Je serais heureuse si vous me créditez à cette occasion.)

Dans le domaine de la peinture, où la culture libre n’est pas si répandue, Gwen Seemel impressionne par la façon dont elle intègre l’ouverture à sa démarche créative. Spécialisée dans le portrait, elle réalise également des peintures animalières, des séries conceptuelles à thèmes, des livres illustrés, mais aussi des sacs en toile peints.

Mais c’est surtout sur son blog que Gwen Seemel montre les différentes facettes de son art et la manière dont il s’imbrique et s’inspire de son engagement pour la Culture libre. Je vous recommande vivement de vous y abonner surtout que Gwen est bilingue et rédige une bonne proportion de ses articles à la fois en français et en anglais.

Elle y montre sa création en train de se faire, mais aussi aborde de manière incisive et décapante des questions liées à la propriété intellectuelle comme l’imitationl’originalitéla protection contre la copie ou l’appropriation de la culture.
Elle réalise également des vidéos pour illustrer ces billets, en anglais et en français, dont j’avais particulièrement apprécié celle-ci, intitulée “le droit d’auteur, c’est pour les peureux” :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans un autre de ces billets, elle expose un modèle d’affaire pour les artistes qui renoncent au droit d’auteur (ce qui est son cas), particulièrement convaincant, qui montre que des modèles économiques peuvent émerger sans s’ancrer dans la culture du contrôle et de la restriction inhérente au copyright. Gwen Seemel sait d’ailleurs mettre à contribution avec succès les formes innovantes de financement de la création comme le crowdfunding, pour faire participer le public en amont au financement de projets ambitieux, comme la réalisation de séries de peintures. Chapeau bas, Gwen Seemel, pour incarner à ce point l’idéal de la Culture libre !

Italo Calvino

Ce projet a également utilisé la voie du crowdfunding (financement participatif) pour être mené à bien par son auteur, Brian Foo.

Cities of You est un projet de livre illustré, mêlant textes et peintures, inspiré par le roman Les Villes invisibles d’Italo Calvino. Il s’agit d’inviter le lecteur à un voyage imaginaire vers plusieurs cités fantastiques, chacune possédant une identité forte inspirée par une personne connue par Brian Foo, et de découvrir la manière dont la ville est construite, la façon de vivre des habitants, son histoire, sa culture et sa destinée.

Fraboo, par Brian Foo. La première des villes imaginaires de Cities of You. CC-BY-NC-SA

Pour financer son projet, Brian Foo a lancé un appel à contributions via la plateforme américaine Kickstarter, en présentant le concept de son livre et quelques planches déjà réalisées. Alors qu’il demandait 2000 dollars pour son projet, Brian est parvenu à rassembler 11 000 dollars au final en quelques semaines, grâce à 141 donateurs. Et ce avant même d’avoir terminé son ouvrage !

Une fois réalisé et comme annoncé dès l’origine sur Kickstarter, Cities of You, comportant au final les descriptions de 41 villes imaginaires, a été mis en ligne en accès gratuit sur un site Internet et les éléments de l’ouvrage, textes et images, sont placés sous licence libre Creative Commons CC-BY-NC-SA. Le livre autoédité par Brian peut être acheté en version papier, ainsi que les superbes peintures originales qui  ont servi à sa réalisation.

Sheeshani. Par Bian Foo. Cities of You. CC-BY-NC-SA

Ce type de projet est intéressant dans la mesure où il démontre que le recours aux licences libres est compatible à la fois avec un financement en amont, par le biais du crowdfunding et un financement en aval, la version gratuite en ligne ne constituant pas une concurrence pour la version papier et les peintures. Et réjouissons-nous, car un volume II de Cities of You est déjà annoncé !

Cinéma Open Source

Le dernier projet que je voudrais vous présentez est le film d’animation Open Source Tube,  à propos duquel le site Mashable a consacré cet article au titre éloquent “Will This Open-Source Animated Film Change the Movie Industy Forever“.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’histoire de Tube parle de quête de l’immortalité et s’inspire de l’épopée de Gilgamesh. Tous les éléments du film seront réalisés avec des logiciels libres et des formats ouverts et ils seront diffusés sous licence copyleft CC-BY-SA, permettant la copie, la diffusion, la modification des contenus, y compris à des fins commerciales.
Le financement passe ici encore par la plateforme américaine Kickstarter où la campagne de soutien rencontre un succès impressionnant. Le but de 22.000 dollars est déjà atteint et plus que dépassé, avec plus de 36 000 dollars rassemblés.
Ce succès rencontré par le cinéma Open Source n’est pas le premier. En 2006, une équipe s’était déjà illustrée en produisant le premier film d’animation de ce genre, le remarquable Elephant Dream, disponible en ligne gratuitement sous licence CC-BY. Plus récemment, le film espagnol El Cosmonauta, du producteur indépendant Riot Cinéma, s’était également fait remarquer, en recourant au crowdfunding et aux licences libres de manière particulièrement inventive.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tous ces artistes sont engagés à divers degrés pour l’évolution de la propriété intellectuelle et contre les projets liberticides qui se multiplient dans ce domaine. Ils prouvent que même si l’évolution législative reste en panne, il est déjà possible, ici et maintenant, de créer autrement et en liberté.


illustrations et photographies par Sea Turtle (CC-byncsa) ; Brian Foo/Cities of You (CC-byncsa) ; Gwen Seemel

Lionel Maurel, alias Calimaq. Juriste & Bibliothécaire. Auteur du blog S.I.Lex, au croisement du droit et des sciences de l’information. Décrypte et analyse les transformations du droit dans l’environnement numérique. Traque et essaie de faire sauter (y compris chez lui) le DRM mental qui empêche de penser le droit autrement. Engagé pour la défense et la promotion des biens communs, de la culture libre et du domaine public. Je veux rendre à l’intelligence collective tout ce qu’elle me donne, notamment ici :  twitter .

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Une autre photo de la guerre du web http://owni.fr/2012/01/25/une-autre-photo-de-la-guerre-du-web/ http://owni.fr/2012/01/25/une-autre-photo-de-la-guerre-du-web/#comments Wed, 25 Jan 2012 13:08:04 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=95377

Comme l’explique la Quadrature du Net, la place qu’avait pris le site MegaUpload dans le paysage numérique peut être considérée comme une conséquence de la guerre au partage conduite par les industries culturelles au nom de la défense du droit d’auteur :

MegaUpload est un sous-produit direct de la guerre menée contre le partage pair à pair hors-marché entre individus. Après avoir promu une législation qui a encouragé le développement des sites centralisés, les lobbies du copyright leur déclarent aujourd’hui la guerre [...] La vraie solution est de reconnaître un droit bien circonscrit au partage hors marché entre individus, et de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement pour une économie culturelle qui soit compatible avec ce partage.
L’éradication de MegaUpload par la justice américaine constitue un épisode spectaculaire de cette croisade du copyright, mais la guerre au partage qui la sous-tend revêt parfois des formes plus discrètes, mais insidieuses, dans d’autres branches de la création.

C’est à mon sens particulièrement le cas dans le domaine de la photographie et j’ai été particulièrement frappé, tout au long de l’année dernière, de la dérive du discours et de l’action de lobbying menée en France par les photographes professionnels, qui sont graduellement passés de la lutte (légitime) pour la défense de leurs droits à une forme de combat contre les pratiques amateurs et le partage entre individus, y compris à des fins non-commerciales. Il est intéressant d’analyser les glissements  idéologiques progressifs qui amènent les titulaires de droits à se dresser contre les internautes et à se couper des moyens d’évoluer pour s’adapter à l’environnement numérique.

Bien entendu, la photographie est un média particulièrement fragilisé par les évolution d’Internet et j’ai déjà eu l’occasion de me pencher sur les effets corrosifs que la  dissémination incontrôlée des images inflige aux fondements même du droit d’auteur dans ce secteur.

On comprend dès lors que les photographes professionnels soient sur la défensive. En juillet 2001, en marge des Rencontres d’Arles de la photographie, l’Union des photographes professionnels (UPP) avait ainsi organisé une spectaculaire marche funèbre pour enterrer le droit d’auteur. Le sens de cette action était de lutter contre des pratiques jugées abusives et attentatoires aux droits des photographes, comme le “D.R.” employé par la presse, les contrats léonins proposés par certains éditeurs ou la concurrence déloyale des micro-stocks de photographie comme Fotolia, pourtant labellisé par Hadopi.

Jusque là, il n’y a pas grand chose à redire à ce type de combats, qui rappellent ceux que les auteurs de livres mènent pour faire valoir leurs droits face au secteur de l’édition et qui me paraissent tout à fait légitimes. Il est indéniable qu’une des manières de réformer le système de la propriété intellectuelle dans le bon sens consisterait à renforcer la position des créateurs face aux intermédiaires de la chaîne des industries culturelles.

Mais pour lutter contre les sites comme Fotolia, qui proposent des photographies  à des prix très bas, les photographes professionnels ont commencé à critiquer l’expression “libre de droits”, mauvaise traduction de l’anglais “Royalty Free”, en rappelant (à juste titre) qu’elle n’avait pas de sens en droit français. Lors du congrès 2011 de l’UPP, une Association de lutte Contre le Libre de Droit (ACLD) a même été créée par plusieurs groupements de professionnels de la photographie C’est à partir de là qu’un dérapage a commencé à se produire chez les photographes, avec une dérive vers la guerre au partage, les pratiques amateurs et la gratuité. Après le “libre de droits”, les représentants des photographes en sont en effet venus à combattre “le libre” tout court, au nom d’amalgames de plus en plus discutables.

Gagnant du concours Wiki Loves Monuments. Monastère Chiajna, Bucarest, par Mihai Petre

La première manifestation sensible de cette dérive a été l’opposition de l’UPP au concours Wiki Loves Monuments, organisé par la fondation Wikimedia pour inciter les internautes à photographier des monuments historiques et à les partager sur Wikimedia Commons. L’UPP a dénoncé de manière virulente cette initiative, en s’élevant contre le fait que la licence libre de Wikimedia Commons (Creative Commons CC-BY-SA) permet la réutilisation commerciale et en demandant sa modification :

Présentée comme une action philanthropique, cette initiative relève davantage d’une opération strictement commerciale. En effet, l’accès au concours est conditionné par l’acceptation d’une licence Creative Commons qui permet l’utilisation commerciale des œuvres. Des opérateurs privés ou publics peuvent dès lors utiliser gracieusement ces photographies sous forme de cartes postales, posters, livres ou encore à des fins d’illustrations d’articles de presse. Les photographes professionnels qui vivent de la perception de leurs droits d’auteurs s’inquiètent de cette démarche, qui constitue une concurrence déloyale à leur égard. Les initiatives de partage libre de la connaissance à des fins culturelles et pédagogiques sont légitimes, mais ne doivent pas conduire à mettre en péril la création.

Pour des professionnels qui prétendent défendre le droit d’auteur, ce type de position radicale est très surprenant. Car c’est en effet un des principes fondateurs du droit d’auteur français que les créateurs décident de manière souveraine de la manière dont ils souhaitent divulguer leurs oeuvres. Si un auteur veut partager sa création gratuitement, y compris en permettant les réutilisations commerciales, rien ne devrait pouvoir l’en empêcher ou alors, le droit d’auteur n’a plus de sens. Un article du Code de propriété intellectuelle consacre même explicitement cette possibilité de diffusion gratuite :

L’auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues (Art. L. 122-7 CPI)

Ici l’UPP, pour protéger des intérêts professionnels, prétend condamner cette liberté, dont veulent user des internautes pour contribuer volontairement à un projet collaboratif. Et ils sont par ailleurs des millions à mettre  en partage leurs photos sur Wikimedia Commons, mais aussi sur Flickr, Deviant Art, et d’autres plateformes encore.

Réseau d'amis Flickr de Meer/CC-byncsa

Mais les photographes professionnels vont plus loin encore. Au-delà de la Culture libre et de l’idée de biens communs, c’est tout un pan de la culture numérique qu’ils entendent remettre en question, avec la montée en puissance des amateurs. Cette tendance se lit clairement sur un des forums ouverts par les Labs Hadopi, dont les experts travaillent sur le thème de la photographie. On y trouve notamment cette déclaration d’un photographe, qui soulève des questions assez troublantes :

Ce métier n’est aucunement régulé, et les associations comme l’UPP (Union des photographes professionnels, dont je fait partie) font ce qu’elles peuvent. La comparaison la plus courante reste celle des taxis. Un métier régulé et normé, tant dans le droit d’exercice que dans les critères de nombre. Avoir une voiture ne fait pas de toi un Taxi. A contrario, avoir un appareil photo fait de n’importe qui un photographe établi et un énième concurrent.

Ou encore celle-ci, tout aussi éloquente :

[...] il me semble que la difficulté numéro 1 des photographes à l’ère numérique, c’est l’afflux massif d’amateurs qui vendent leurs photos à prix bradé voir gratuitement.

Le glissement dans le discours atteint ici des proportions très graves. Nous ne parlons plus en effet seulement de lutter contre le téléchargement, mais d’un corps de métier, menacé par Internet, qui commence à glisser à l’oreille des pouvoirs publics qu’il pourrait être bon d’instaurer un “permis de photographier” ou une sorte de numerus clausus, pour limiter chaque année le nombre de photographes assermentés !

D’une certaine manière, les photographes sont en train de remonter à la racine historique du droit d’auteur, dont les premiers linéaments sont apparus sous l’Ancien Régime sous la forme d’un double système de privilège et de censure, contrôlé par l’Etat. Le Roi en effet, accordait un “privilège” à un imprimeur afin de lui conférer un monopole pour exploiter un ouvrage et se protéger des contrefaçons produites par ses concurrents. On retrouve bien en filigrane, cet esprit dans les revendications des photographes, sauf qu’à présent, ils demandent l’instauration d’une forme de “protectionnisme juridique” pour les protéger des amateurs et du public, et non d’autres professionnels.

A une heure où le partage des photographies est massif sur Internet (plus de 100 milliards de photos sur Facebook…) et s’accélère encore avec le développement des usages mobiles (voir le succès d’Instagram), on sent bien que ce type de positions est complètement irréaliste. Elle ne peut que conduire sur le plan légal à instaurer des systèmes de contrôle et de répression des pratiques culturelles qui se répandent dans la population et dont on devrait se réjouir, plutôt que de chercher à les condamner.

D’une certaine manière, les propos des photographes rappellent la “Pétition des fabricants de chandelle” qui avait été inventée en 1845 par l’économiste Frédéric Bastiat pour discréditer le protectionnisme économique. Dans cette parabole, les fabricants de chandelles demandent à l’Etat de les protéger contre la concurrence déloyale… du Soleil !

Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui, et une branche d’industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée […] Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale. […]

Ce que révèlent les positions des photographes professionnels, c’est avant tout un profond désarroi face aux évolutions du numérique et une difficulté à penser un modèle économique adapté aux nouveaux usages en ligne. Il existe pourtant des exemples convaincants de photographes qui ont réussi à comprendre comment utiliser à leur profit les pratiques de partage pour valoriser leurs créations et développer leur activité.

Portrait de Cory Doctorow par Jonathan Worth/CC-byncsa


C’est le cas par exemple de l’anglais Jonathan Worth, cité dans l’ouvrage The Power of Open qui recense les exemples de réussite de projets employant les licences Creative Commons. Incité à utiliser les Creative Commons après une rencontre avec Cory Doctorow, il publie aujourd’hui ses clichés sur son site sous licence CC-BY-NC-SA. La diffusion et les reprise de ces photos lui a permis de gagner une notoriété, qui lui a ouvert les portes de la National Portrait Gallery à Londres et de photographier les grands de ce monde. Dans une interview donnée au British Journal of Photography, il explique en quoi les licences libres lui ont permis de penser un nouveau modèle en jouant sur la réservation de l’usage commercial, tout en permettant la reprise de ces photos librement à des fins non commerciales :

Maintenant je peux comprendre comment utiliser les forces des personnes qui réutilisent mes images gratuitement. C’est comme mettre un message dans une bouteille et laisser les vagues l’emmener ailleurs, en tirant bénéfice de l’énergie des marées. Creative Commons me permet d’utiliser l’architecture du système et d’être en phase avec les habitudes des natifs du numérique sur les réseaux sociaux. Les contenus sont les mêmes, mais leur mode de distribution a changé. Je n’ai pas trouvé la formule magique, mais CC me permet de profiter de choses qui autrement joueraient contre moi.

De manière plus provocatrice, le photographe américain Trey Ratcliff, qui tient l’un des blogs photo les plus suivis de la planète (Stuck in Customs) expliquait récemment sur le site Techdirt les raisons pour lesquelles il ne se préoccupe pas du piratage de ses créations et pourquoi il considère même que c’est un avantage pour son business. Il explique comment le partage de ses oeuvres lui permet de donner une visibilité son travail et de se constituer une clientèle potentielle. Et de terminer par cette phrase qui va nous ramener au début de cet article :

Tout mon travail est piraté. Depuis mes tutoriels photo HDR, jusqu’à mes livres numériques en passant par mes applications. Parfait. Tout est sur PirateBay, MegaUpload et d’autres sites de ce genre. Le fait est que j’ai de bonnes raisons de ne pas m’en préoccuper. Si MegaUpload est devenu une telle menace pour les industries culturelles, c’est avant tout parce qu’elles n’ont toujours pas réussi à sortir du “modèle économique de la pénurie organisée”, comme le rappelle à raison Samuel Authueil sur son blog. L’exemple des photographes que je cite ci-dessus montre pourtant que des créateurs peuvent tirer profit de la nouvelle économie de l’abondance, en adoptant des modes plus ouverts de distribution de leurs contenus, en phase avec les pratiques de partage sur les réseaux.
S’enfoncer dans la guerre au partage comme le font actuellement les représentants des photographes professionnels, lutter contre les pratiques amateurs et la gratuité,  c’est courir le risque de subir une véritable Berezina numérique, comme le reste des filières culturelles qui refusent l’évolution de leurs modèles.

Ce n’est pas d’une réforme légale que le système a besoin, mais d’une profonde refonte de la conception de la valeur, qui entre en symbiose avec les pratiques de partage plutôt que de tenter de les combattre.


Illustration pour la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni
Photos et illustrations : Par Mihai Petre (Own work) [CC-BY-SA-3.0-ro] via Wikimedia Commons ; par Meer/Flickr CC-byncsa ; Cory Doctorow par Jonathan Worth (CC-byncsa)

illustration par Marion Boucharlat pour Owni

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http://owni.fr/2012/01/25/une-autre-photo-de-la-guerre-du-web/feed/ 59
Des livres libérés de licence http://owni.fr/2011/10/01/ledition-sous-licence-libre-une-utopie-realiste/ http://owni.fr/2011/10/01/ledition-sous-licence-libre-une-utopie-realiste/#comments Sat, 01 Oct 2011 14:28:06 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=81437

Samedi dernier, j’avais la chance de participer à la quatrième édition du Bookcamp, organisé cette année au Labo de l’édition à Paris, au cours duquel j’ai proposé un atelier pour réfléchir à cette question : “L’édition sous licence libre, une utopie ?”. A vrai dire, cela fait plusieurs années maintenant que je voulais proposer un atelier sur ce thème, mais j’ai renoncé lors des deux précédentes éditions à le monter, car il me paraissait que les exemples d’expériences éditoriales sous licence libre étaient encore trop peu nombreux.

Les licences libres ont permis l’émergence de grands succès en matière de production de contenus par les utilisateurs (User Generated Content), avec Wikipedia ou Flickr dans le domaine de la photo. On trouve également des exemples intéressants dans le domaine de la musique, avec des sites comme Jamendo combinant licences libres et modèle économique. Mais pendant longtemps en ce qui concerne le livre, les exemples concrets sont restés fort rares, en dehors d’initiatives militantes comme Framabook ou In Libro Veritas. Du côté des auteurs, Cory Doctorow constituait certes un modèle de réussite, combinant diffusion gratuite sous licence libre en ligne et vente d’ouvrages papier, mais il n’était pas facile de citer d’autres exemples, comme si la personnalité singulière de cet auteur rendait sa stratégie difficilement reproductible par d’autres.

Malgré le fait que le mot liber en latin signifie à la fois livre et libre, on finissait par se demander s’il n’y avait pas quelque chose de particulier dans le livre, rendant l’implantation des licences libres plus difficiles dans ce domaine que pour d’autres types de médias.

Pourtant cette année, au fil de la veille et des billets (ici ou ), j’ai pu repérer un certain nombre d’initiatives originales dans le domaine de l’édition, avec le développement de modèles économiques qui me semblent dignes d’intérêt. J’ai essayé de présenter un certain nombre de ces exemples au cours de l’atelier bookcamp et pour aller plus loin, j’ai représenté sur une carte heuristique les principales tendances que je discerne en matière d’édition sous licence libre.

J’aimerais présenter dans ce billet à la fois les retours de l’atelier du bookcamp et les enseignements que je tire de la réalisation de cette carte.

Stratégies éditoriales : la diversité des approches

Dans de nombreux cas, notamment les plus anciens, les licences libres sont utilisés de manière militante, pour promouvoir la Culture libre et développer des alternatives à l’édition telle qu’elle se pratique dans le cadre du droit d’auteur classique. Mais dans cette carte, j’ai essayé de m’intéresser davantage aux considérations plus « stratégiques » qui peuvent conduire des éditeurs ou des auteurs à choisir les licences libres pour diffuser leurs ouvrages.

L’une des stratégies principales motivant le recours aux licences libres est paradoxale au premier abord : elle consiste à considérer qu’une diffusion gratuite de fichiers couplée à la vente d’exemplaires papier peut constituer un atout, dans la mesure où le libre accès en ligne ne va pas “cannibaliser” la vente du papier, mais au contraire la promouvoir en favorisant la notoriété des œuvres et des auteurs dans un contexte d’abondance des contenus. Ce pari de la complémentarité du gratuit et du payant vaut dans la mesure où l’accès en ligne, malcommode pour des ouvrages longs, ne “rivalise” pas complètement avec la lecture des ouvrages papier. On verra que les choses se modifient avec l’édition électronique, perturbant l’équilibre des modèles économiques basés sur cette stratégie.

La complémentarité du gratuit et du payant a été mise en œuvre à titre expérimental par plusieurs éditeurs (O’Reilly Open Book Project, Bloomsbury Academics, Editions Zones), mais elle peut aussi être employée par des auteurs, dans une optique différente. Il s’agit alors pour l’auteur d’utiliser l’accès ouvert à l’œuvre pour se distinguer et développer un capital symbolique. La stratégie d’emploi des licences libres peut permettre à un auteur débutant de développer sa notoriété, en gagnant un avantage concurrentiel sur ses congénères (Dan Gillmor, James Patrick Kelly) ou à un auteur disposant déjà d’une solide réputation de s’en servir pour promouvoir ses ouvrages (Lawrence Lessig, Cory Doctorow, Nina Paley).

Dans les deux cas, l’auteur doit être en mesure de maîtriser son identité numérique, en se mettant en scène par le biais d’outils comme les blogs ou les réseaux sociaux. Il peut également utiliser ces canaux pour entrer directement en relation avec le public, en lui proposant d’interagir avec l’oeuvre (concours de remix de Robin Sloan). Certains auteurs font le choix d’employer cette stratégie pour publier leurs ouvrages sans éditeurs, avec une volonté assumée de désintermédiation (Nina Paley, The Wise Routes), mais ce type de stratégie n’exclut pas pour l’auteur de publier ses ouvrages chez un éditeur traditionnel (Lessig, Doctorow). En gagnant grâce à la libre diffusion une notoriété, une puissance propre de diffusion et une certaine indépendance, elle peut même modifier le rapport de forces avec l’éditeur en faveur de l’auteur sous licence libre.

La stratégie peut également porter non plus seulement sur l’accès, mais aussi en amont, sur le processus créatif lui-même, en utilisant l’ouverture des licences libres pour favoriser l’écriture et l’édition collaboratives, voire le recours à l’intelligence collective en mobilisant un grand nombre d’auteurs autour d’un projet. C’est un modèle qui commence à donner des résultats convaincants dans le secteur des manuels scolaires (Flat World Knowledge aux Etats-Unis, suivi en France par Sesamath et lelivrescolaire.fr, Pratham Books en Inde). Mais cette intégration des licences libres au coeur du processus créatif reste encore rare dans le domaine de la fiction, comme si l’écriture littéraire avait du mal à intégrer la dimension collective. On relève quand même le bel exemple dans la BD de la plateforme Manolosanctis, qui mise sur l’édition communautaire, couplée avec un modèle économique de vente d’albums en papier.

Modèles économiques : le libre confronté au virage de l’édition numérique

Il n’est pas spontanément facile d’imaginer comment les licences libres peuvent déboucher sur un modèle économique et c’est une des choses dont je me suis rendu compte pendant l’atelier au bookcamp. Cela résulte sans doute de l’amalgame trop rapide que l’on fait entre libre et gratuit ou entre licence libre et « libre de droits ». En réalité, les licences libres ne constituent pas un abandon des droits par l’auteur, mais un processus maîtrisé de libération des usages de l’oeuvre, modulable selon sa volonté. En particulier, certaines licences, comme les Creative Commons, permettent d’accorder a priori certains droits étendus au public, tout en continuant à réserver l’usage commercial. C’est cette réservation de l’exploitation commerciale qui permet dans la plupart des cas de développer un modèle économique sur la base de licences libres dans le domaine de l’édition.

Si l’on se place dans le cadre de la relation entre un éditeur et un auteur, il est tout à fait possible que ce dernier décide de placer son oeuvre sous une licence libre comportant une restriction d’usage commercial et de céder ce droit à un éditeur dans le cadre d’un contrat d’édition classique. Il en résultera un double système de diffusion de l’oeuvre : en ligne, l’ouvrage sera proposé gratuitement, mais sans permettre les usages commerciaux ; dans le même temps, l’ouvrage pourra être exploité par l’éditeur sous forme papier ou dans d’autres formats (ePub par exemple). Techniquement, ce sont dans les clauses des contrats qui précisent les modes d’exploitation de l’oeuvre que l’on devra préciser celles qui restent placées sous licences libres et celles qui sont cédées à l’éditeur. Dans tous les cas, c’est à l’auteur de décider s’il place son oeuvre sous licence libre et pour quels types d’usages, l’éditeur ne pouvant faire ce choix à sa place.

En réalisant la carte heuristique, je me suis rendu compte que le modèle économique dominant des projets d’édition sous licence libre restait encore très majoritairement lié à la vente d’ouvrages papier. Or il me semble qu’il s’agit d’une faiblesse, dans un contexte où le livre numérique se développe. En un sens, on pourrait dire que l’édition sous licence libre est confrontée, tout comme l’édition classique, à la nécessité d’évoluer face aux défis soulevés par le livre numérique, mais qu’elle n’a peut-être pas encore fait sa révolution.

En effet, autant il était concevable de miser sur une complémentarité entre la diffusion en ligne/Gratuite et la diffusion papier/Payante, autant on peut douter qu’un tel modèle soit reproductible avec le livre numérique et les formats enrichis, type ePub. Un éditeur comme C&F Editions pouvait placer ses livre papier sous licence Creative Commons pour ouvrir les usages, sans prendre de risques réels quant à l’impact sur les ventes, en raison des limites inhérentes au support papier. Mais placer un fichier en ePub sous licence libre, y compris en réservant l’usage commercial, c’est sans doute pour un éditeur fragiliser ses possibilités d’exploitation commerciale.

En ce sens, de nouvelles complémentarités sont sans doute à rechercher entre les différents formats. Il me semble en effet que l’on pourrait miser sur une diffusion sous licence libre des formats html simples, pour une lecture en ligne, en commercialisant des fichiers enrichis pour les supports type tablette, en restant dans un cadre plus proche du droit d’auteur traditionnel. C’est l’esprit de la licence Edition Equitable proposée par Hervé Le Crosnier et je pense qu’un tel outil présente un potentiel pour adapter les modèles économiques de l’édition sous licence libre aux nouvelles réalités du livre numérique. L’intérêt d’une telle démarche consisterait à ne pas se focaliser sur la notion de « fichier » (j’ai été frappé au bookcamp de voir comment tout le monde était obsédé par les « fichiers »). Il s’agit à mon sens d’envisager les choses de manière plus fine, en distinguant selon plusieurs manifestations possibles des oeuvres (format html, format ePub, papier, etc) auxquelles peuvent être attachés des droits différents (en s’inspirant par exemple des concepts du modèle FRBR). Un auteur comme Robin Sloan joue déjà sur cette différenciation des formats pour ses romans : il commercialise des fichiers pour Kindle, mais diffuse gratuitement toutes les autres manifestations de son oeuvre (html, pdf, etc).

Outre cette nouvelle complémentarité des formats, un autre modèle commence à faire une percée dans le domaine de l’édition sous licence libre : il s’agit du crowdfuning (financement participatif), qui déplace le modèle économique en amont en sollicitant le public avant la publication de l’ouvrage pour rassembler les sommes nécessaires. à sa création. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce modèle dans un autre billet et j’attends avec impatience le lancement du projet Unglue.it/Gluejar qui me semble particulièrement prometteur.

Obstacles, blocages et lacunes

On le voit l’édition sous licence libre n’est plus complètement une utopie, mais il faut bien reconnaître qu’elle se heurte encore à de sérieux obstacles, que l’atelier du bookcamp m’a permis de mieux saisir.

Dans le domaine de l’édition scientifique, le mouvement de l’Open Access s’est développé ces dernières années, de manière plus ou moins forte selon les disciplines, mais il a transformé assez profondément le paysage de l’IST. Certes l’Open Access ne s’appuie pas nécessairement sur des licences libres (bien que cela puisse être le cas, voir PLoS par exemple), mais il me semble qu’il s’y joue quelque chose dans les rapports entre éditeurs et auteurs qui rejoint les problématiques de l’édition sous licence libre que j’essaie d’aborder ici. Certaines initiatives que j’ai insérées dans la carte sont d’ailleurs directement inspirées par l’Open Access (Presses universitaires de Lyon, Open Utopia, C&F Editions, Unglue.it). La question que l’on peut se poser, c’est pourquoi cette ouverture tarde à s’étendre au delà des revues au domaine du livre et au delà de la sphère de la recherche à celle de l’édition générale.

Hubert Guillaud, qui m’a fait l’amabilité de participer à mon atelier, a fait remarquer qu’il était surprenant de voir combien les expériences étaient peu nombreuses en matière d’usage des licences libres dans le domaine de l’édition et comment les acteurs ne s’étaient pas saisis de ces outils pour explorer de nouvelles voies.

La première raison vient selon moi avant tout des auteurs. Le mouvement de l’Open Access s’est appuyé essentiellement sur le maillon des auteurs et sur le moment-clé de la négociation des contrats d’édition pour revendiquer davantage d’ouverture auprès des éditeurs. L’édition sous licence libre aurait besoin pareillement que les auteurs demandent des modifications dans leurs contrats d’édition pour placer les oeuvres sous licence libre et sans ce premier moteur, on peut douter que le mouvement se développe. Or les participants à l’atelier ont souligné qu’en France, très peu d’auteurs sont sur une telle ligne, même si la prise de conscience de la nécessité de revoir les équilibres des contrats d’édition commence à faire son chemin avec le livre numérique. Peut-être que les nouvelles générations d’auteurs, qui sont nées sur internet et qui auront pris l’habitude de l’ouverture du web auront plus de mal à se laisser enfermer dans les limites du droit d’auteur classique et revendiqueront le bénéfice des licences libres ?

D’autres points intéressants ont été soulevés lors de l’atelier, comme par exemple l’absence de soutien des pouvoirs publics en direction de l’édition sous licence libre. L’Open Access doit une large part de son succès au fait qu’il a été soutenu par des institutions publiques. Une démarche similaire pourrait tout à fait être envisagée dans le domaine des manuels scolaires (et à vrai dire, il serait logique que ce soit le cas). Plus largement, l’édition publique, assez développée en France, pourrait elle aussi expérimenter les licences libres, mais je n’ai trouvé aucun exemple à signaler. Pour le reste, bien que Manolosanctis ait par exemple été soutenu par le Centre National du Livre, il me semble que la France reste un milieu assez hostile aux alternatives libres. Dans le champ des éditeurs « traditionnels », on ne peut guère citer que les Editions Zones, un des labels des éditions la Découverte, à avoir expérimenté des publications sous licence Creative Commons ; quelques ouvrages sous licences Creative Commons chez Eyrolles également.

En réalisant ma carte, je me suis rendu compte que les projets d’édition sous licence libre n’incluaient pas certains acteurs de la chaîne du livre, les libraires par exemple, qui ne sont jamais associés à de tels modèles. Mais les bibliothèques ne sont pas plus présentes, et c’est pour moi une désillusion assez cruelle. Le projet américain Unglue.it/Gluejar, dont j’ai déjà parlé plus haut, prévoit cependant d’associer les bibliothèques et il sera intéressant de voir quel rôle elles pourront jouer dans cette entreprise de libération des droits.

Nécessité de la pédagogie et ressources utiles

Les participants de l’atelier ont également souligné que les licences libres étaient encore trop peu connues en France, chez tous les acteurs de la chaîne du livre et qu’elles restaient parfois mal comprises. Hubert Guillaud a fait un rapprochement avec le travail de pédagogie qu’il a dû mener au sujet de l’Open Data auprès des acteurs sur le terrain. dans le cadre de son action à la FING. Il importerait de pouvoir répondre aux craintes suscitées par les licences libres et de montrer les avantages concrets que l’on peut retirer de leur usage.

Pour commencer à avancer dans ce sens, j’ai recensé un certain nombre d’articles (en anglais), qui fournissent des conseils utiles pour mener des projets d’édition sous licences libres, surtout en direction des auteurs :

La carte heuristique est placée elle-même sous licence libre et je l’ai mise en mode wiki, et vous pouvez y apporter des modifications. Je continuerai à l’alimenter au fil de ma veille pour recenser les expériences d’édition sous licence libre.


Billet initialement publié sous le titre “L’édition sous licence libre, une utopie ? (bookcamp 4)” sur S.I.Lex

Illustrations via Flickr : Temari09 [cc-by] ; Devontt [cc-by]

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L’Hadopi s’introduit dans les lieux publics d’accès à Internet http://owni.fr/2011/06/15/l%e2%80%99hadopi-sintroduit-dans-les-lieux-publics-d%e2%80%99acces-a-internet/ http://owni.fr/2011/06/15/l%e2%80%99hadopi-sintroduit-dans-les-lieux-publics-d%e2%80%99acces-a-internet/#comments Wed, 15 Jun 2011 06:30:06 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=67895 Cela fait un moment maintenant que j’essaie d’alerter sur les risques qu’Hadopi fait courir pour l’accès public à Internet, dans les bibliothèques, mais aussi dans les universités, les espaces publics numériques, les hôpitaux, les parcs, les aéroports, les administrations, les associations, et toutes les personnes morales en général.

Or le lancement aujourd’hui de la campagne de communication de l’Hadopi autour de son Label PUR [sic] me donne le sentiment que les craintes que je nourrissais à ce sujet sont avérées.

On peut lire en effet sur le blog de l’Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF) que l’Hadopi entend s’appuyer sur les collectivités locales pour relayer sa campagne, et notamment sur les espaces publics numériques (EPN), ainsi que les écoles :

Pour relayer ses messages, l’Hadopi souhaite mobiliser les collectivités territoriales qui via les espaces publics numériques et les écoles peuvent contribuer à influer sur les comportements des internautes. L’autorité met donc à disposition des supports d’information (dépliants, plaquettes) et des modules pédagogiques pour expliquer de manière pédagogique et ludique, l’importance du respect du droit d’auteur.

L’Hadopi a déjà montré de quoi elle était capable en matière de « pédagogie » du droit d’auteur. On se souvient encore du film d’animation Super Crapule Vs Super Hadopi, diffusé sur France 5, qui entendait initier d’une manière risible et caricaturale nos chères têtes blondes à la question du respect de la propriété intellectuelle sur Internet.

Il y a tout lieu de penser que les supports et modules pédagogiques fournis par l’Hadopi aux collectivités locales seront de cet acabit. Or ces supports visent ni plus ni moins à instrumentaliser des lieux publics d’apprentissage du rapport à l’internet pour diffuser une propagande, marquée par une vision complètement déséquilibrée de la propriété intellectuelle.

Quelle pédagogie sur le droit d’auteur ?

La propriété intellectuelle est en effet avant tout un système d’équilibre, même si on a hélas tendance à perdre de vue cet aspect en France. Il y a certes d’un côté les droits moraux et patrimoniaux dont bénéficient les auteurs et leurs ayants droit, mais il existe aussi des mécanismes qui viennent contrebalancer, au nom de l’intérêt général et de certaines libertés fondamentales, le monopole exclusif des titulaires de droits : les exceptions et limitations au droit d’auteur, des licences légales ou encore le domaine public.

Si l’on doit conduire une politique de pédagogie sur le droit d’auteur dans les lieux publics, peut-on concevoir que l’on enseigne uniquement « le respect du droit d’auteur« , et que l’on laisse dans l’ombre les mécanismes d’équilibre qui jouent un rôle si important pour la respiration du système ? Peut-on concevoir également que l’on enseigne pas l’existence des licences libres, alors qu’elles apportent une contribution essentielle à la régulation pacifique des usages en ligne ? Que l’on passe sous silence la question des biens communs ? Est-ce cela l’information literacy que nous voulons donner à nos usagers ?

Voilà pourquoi je pense qu’il faut exiger de l’Hadopi la transmission du contenu de ces supports avant diffusion, vérifier leur teneur et exiger le cas échéant que l’on informe sur la propriété intellectuelle de manière équilibrée, en présentant à la même hauteur que le droit d’auteur les droits et libertés fondamentales qui le contrebalancent, exactement comme l’a fait le Conseil Constitutionnel dans sa décision consacrant l’accès à Internet comme une liberté publique.

Cette volonté de s’appuyer sur le système éducatif et les espaces publics pour diffuser une vision déformée du droit d’auteur rappelle de funestes précédents.  En 2006 au Canada, une vaste campagne de (dés)information avait été organisée autour du personnage risible de Captain Copyright, soulevant de vives réactions de protestation. Face à la mobilisation de la société civile (enseignants, bibliothécaires), ce projet a cependant fini par être abandonné, preuve qu’on peut faire reculer ce genre d’initiatives.

Il faut également se souvenir que le projet d’accord ACTA a comporté un moment des obligations de ce genre à la charge des États signataires, en matière d’organisation de campagnes publiques de sensibilisation au droit d’auteur. Or aux Etats-Unis, cet aspect du traité a déclenché l’opposition des associations de bibliothécaires, et notamment celle de la Library Copyright Alliance (LCA) :

Le projet d’accord comporte les premiers éléments de nouvelles exigences en matière de sensibilisation et de coordination entre les autorités chargées de l’application des règles de la propriété intellectuelle, ainsi que de nouvelles exigences qui vont créer tant au niveau central que des collectivités locales de nouvelles responsabilités en matière d’application des lois dans les Etats qui auront accepté l’accord. Celles-ci comportent la mise en place de campagnes publiques de sensibilisation. Dans sa déclaration commune, la LCA aborde la question de la sensibilisation des consommateurs en recommandant la mise en place de campagnes éducatives sur la propriété intellectuelle qui présente une vision juste et équilibrée à la fois tant des droits exclusifs que des limitations et exceptions (…)

Les bibliothèques, prochaine cible de l’Hadopi ?

L’Hadopi semble pour l’instant vouloir s’appuyer au niveau des collectivités locales sur les espaces publics numériques (EPN) et sur les écoles. Mais le risque est grand qu’elle ne s’arrête pas en si bon chemin et tente d’associer les bibliothèques publiques,  lieux importants pour l’accès à internet, à sa campagne de communication. D’ailleurs, il existe des EPN en France qui sont localisés dans des bibliothèques ou qui travaillent en collaboration avec celles-ci.

Il me semble qu’il est du devoir des professionnels de l’information que sont les bibliothécaires et les animateurs d’EPN de rester extrêmement vigilants face à ce qui se prépare, pour éviter d’être embrigadés au service d’une cause qui nierait certains aspects essentiels de leurs missions. J’espère aussi que les enseignants en milieu scolaires sauront se mobiliser contre cette dérive. De l’enseignement des aspects positifs de la colonisation à la défense de l’internet « civilisé », il y a à mon sens un lien évident !

Mais il y a beaucoup plus grave dans cette manœuvre de l’Hadopi  – et sans doute dangereux à moyen terme – pour la liberté d’accès public à Internet.

J’avais écrit au mois de Janvier un billet (Hadopi = Big Browser en Bibliothèque !) avertissant sur la manière dont le mécanisme de riposte graduée peut impacter directement les personnes morales.

Dans le dernier numéro du BBF (Bulletin des Bibliothèques de France), nous avons eu confirmation de la part de deux représentants de la CNIL que les bibliothèques  (et tous les espaces publics d’accès à Internet) peuvent bien voir leur responsabilité engagée du fait des agissements de leurs usagers.

La loi Hadopi I engage également la responsabilité des titulaires des abonnements internet – en l’occurrence les bibliothèques – en cas de téléchargement illicite d’œuvres protégées à partir du réseau mis à la disposition du public, uniquement si cet accès n’a pas été sécurisé.

Certes, comme le rappelle Julien L.  dans ce billet sur Numerama, le risque principal pour les espaces publics n’est pas à proprement parler la coupure d’accès à Internet, car le juge dispose d’une marge de manœuvre pour tenir compte du cas particulier des collectivités.

La sécurité labellisée Hadopi

Mais il y a un risque, beaucoup plus insidieux, du côté des mesures de sécurisation que l’Hadopi va finir par proposer aux collectivités pour sécuriser leurs connexions Internet. Pour échapper au délit de « négligence caractérisée » - pivot juridique de la riposte graduée – il faut être en mesure de prouver que l’on a bien mis en œuvre des moyens suffisants pour prévenir les infractions. Or l’Hadopi s’apprête à labelliser à cette fin des logiciels de sécurisation, qui auront pour effet de restreindre l’accès à Internet à partir de système de listes noires et de listes blanches, aboutissant dans les faits à une forme de filtrage , et obligeant les fournisseurs de connexions publiques à se transformer en « grands frères » de leurs usagers.

Certes, nul n’est obligé par la loi de recourir à ces moyens de sécurisation, mais la pression sera forte, notamment auprès des élus, pour faire en sorte d’éviter de voir la responsabilité de leur collectivité engagée à cause des connexions publiques mises à disposition des usagers.

Et c’est là que la campagne de communication de la Hadopi peut faire beaucoup de mal : en préparant le terrain, avec un discours déséquilibré et caricatural en direction des élus locaux, pour favoriser l’adoption de ces logiciels bridant l’internet public et portant atteinte de manière détournée à la liberté d’accès à l’information.

A vos plumes, à vos claviers, à vos téléphones !

Les élus seront sensibles aux protestations qui leur seront adressées et il n’est pas trop tard pour arrêter cette menace !

PS : Numerama vient de mettre la main sur les spots télévisés de l’Hadopi pour la promotion du label PUR. Le niveau est affligeant et cela renforce mes craintes concernant les supports à destination des EPN… Voyez plutôt :

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Initialement publié sur le blog ::S.I.Lex:: sous le titre, L’Hadopi met un pied dans les lieux publics d’accès à Internet !

Illustrations et photos :

Hadopi ; Super Crapule vs Super Hadopi, capture d’écran ; Captain Copyright. Source : Wikimédia Commons

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http://owni.fr/2011/06/15/l%e2%80%99hadopi-sintroduit-dans-les-lieux-publics-d%e2%80%99acces-a-internet/feed/ 14
Copyheart, un amour de licence libre http://owni.fr/2011/05/30/copyheart-un-amour-de-licence-libre/ http://owni.fr/2011/05/30/copyheart-un-amour-de-licence-libre/#comments Mon, 30 May 2011 06:30:41 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=64827 Magie de la sérendipité, je suis tombé plus ou moins par hasard sur la licence, ou plutôt sur la non-licence, libre la plus charmante qu’il m’ait été donné de rencontrer à ce jour : leCopyheart.

Son inventeur s’appelle Nina Paley, une activiste éminente de la Culture libre, qui s’est distinguée comme artiste en créant le magnifique film d’animation Sita sings the blues, sous licence CC-BY-SA, et qui s’attache à penser la propriété intellectuelle autrement sur son site QuestionCopyright.

Nina s’est lancée depuis quelques mois dans un nouveau projet, en créant un blog BD mettant en scène sous forme de strips en 3 cases deux petits personnages, Mimi and Eunice, que vous avez déjà peut-être vus dans cette vidéo en faveur du partage “Copying is not theft“ .

Les aventures de Mimi and Eunice portent sur des sujets variés, en fonction de l’humeur de Nina, mais certains strips aiguillonnent joliment la propriété intellectuelle et ses dérives, comme celui-ci par exemple :


Or, voulant reprendre hier un de ces strips pour un billet sur S.I.Lex, j’ai cherché à savoir sous quelle licence ils étaient placés. Et là au lieu de tomber sur une classique licence Creative Commons, j’ai découvert le Copyheart, qui se résumer ainsi :

♡ Copying is an act of love. Please copy.

Et c’est tout !

Le copyheart est une “non licence”

Nina Paley a écrit une FAQ pour expliquer sa démarche, que j’ai traduite en français et que je joins à la suite de ce billet (voir plus bas). Son discours est assez intéressant et plus profond que le côté « Peace and Love » que le Copyheart peut véhiculer au premier abord.

J’y vois un petit quelque chose de magritien, dans la mesure où le Copyheart est une « non-licence » (ou plutôt une « Ceci-n’est-pas-une licence »), qui marque une volonté, non pas d’aménager ou de renverser le copyright (démarche des licences libres ou du copyleft), mais de sortir du droit tout court. Bien que Nina Paley soit une adepte des licences libres, elle a également un recul critique fort intéressant sur le sujet, qu’elle exprime parfois sur le site Techdirt (ici ou ) :

Nous ne pensons vraiment pas que les lois et la « propriété imaginaire » jouent un quelconque rôle dans les sentiments des gens et dans leurs rapports culturels. Créer encore davantage de licences et de contrats ne fait que perpétuer les problèmes engendrés par le droit quand il s’immisce là où il ne devrait pas. Le fait que le ♡ Copyheart n’ait pas de valeur juridique n’est pas un bug ! C’est absolument intentionnel !

J’avais déjà formulé au détour d’un billet une idée de ce genre, en parlant d’un possible Copy-Out (mais le concept s’était profondément enfoui dans mon cortex reptilien d’indécrottable juriste…) :

Il est peut-être temps de dépasser la logique du Copyleft elle-même pour entrer dans celle du Copy-Out : la sortie en dehors du cadre du copyright et non plus son aménagement.

Repenser l’économie culturelle en dehors du droit

Il existe certes déjà une licence Creative Commons Zero (CC0) qui permet d’abandonner absolument tous ses droits sur une création, mais il y a quelque chose qui relève de l’oxymore dans cet outil, car peut-on vraiment sortir juridiquement du droit ? Tout mignon qu’il est, le Copyheart me paraît en fait beaucoup plus subversif… Tout en étant plus sérieux quand même que la DWTYWT/PL : Do What The Fuck You Want To Public Licence [sic].

Car peut-être après tout est-ce une impasse que de chercher à vouloir trouver une réponse juridique à un problème juridique, et que le meilleur moyen serait de sortir complètement du droit pour donner à la création des règles d’une autre nature ? C’est justement le propos d’un ouvrage récent, traduit par l’équipe de Framabook “Un monde sans copyright… et sans monopole“ , qui défend l’idée que l’humanité serait plus créative si la propriété intellectuelle n’existait pas. Et le modèle alternatif qu’il décrivent n’est pas une utopie romantique, mais une autre façon de penser l’économie culturelle, entièrement reconstruite autour de la notion de biens communs.

Ce point rejoint la démarche de Nina Paley, car le geste de don total qu’exprime le ♡Copyheart n’est absolument pas déconnecté d’une démarche créative, ni de la recherche d’un véritable modèle économique. La gratuité et le don sont des modèles économiques à part entière (j’en avais parlé ici), et n’en déplaise à nos amies les sociétés de gestion collective !

En effet, Nina a décidé de publier sous forme de petits livres papier (minibooks) les strips de Mimi et Eunice parlant de propriété intellectuelle. Cela s’appellera Mimi and Eunice Intellectual Pooperty et les livres eux-mêmes seront placés sous ♡Copyheart, permettant à tout un chacun d’en faire… exactement ce qu’il en veut, comme il veut !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le don comme modèle économique

Pour financer cette opération, Nina a utilisé la plateforme de crowdfunding (financement participatif) Kickstarter, qui vous propose de verser une participation d’un montant de votre choix, en vue de rassembler une somme permettant l’édition des minibooks. En fonction du montant que vous choisissez, vous pouvez recevoir une récompense, graduée selon votre générosité. Je viens par exemple de faire un don de 25 dollars, ce qui va me permettre de recevoir chez moi 5 BD (et ça m’enchante !). Pour 150 dollars, Nina rajoutera un strip personalisé dans un exemplaire à votre nom ; pour 200 dollars, vous gagnez un déjeuner avec l’auteur (!) ; pour 400 dollars, vous gagnez un méga pack de 1000 BD, de manière à pouvoir littéralement inonder un lieu de votre choix (Nina recommande de choisir une fac’ de droit ;-).

Les BD seront vendues de manière à couvrir les frais, mais le prix sera fixé de manière dégressive en fonction de la somme rassemblée, avec pour objectif qu’il soit le plus bas possible et d’en publier un maximum (on est pas dans le PULN, là !).

Et vous savez quoi : ça marche ! Nina avait besoin de 3000 dollars pour lancer son opération et elle en a déjà récolté plus du double. Il vous reste d’ailleurs 12 jours pour faire un don (c’est très simple !), si vous souhaitez contribuer à ce projet et permettre la production d’encore plus de BD.

Franchement, après cet atroce eG8 , où il n’a été question que de corseter juridiquement Internet au nom de la protection d’une propriété intellectuelle conçue comme le seul moyen d’inciter les créateurs à produire des oeuvres, cela fait un bien fou de voir que d’autres démarches sont possibles… y compris en dehors du droit et en toute liberté !

Ci-dessous la FAQ de Nina Paley sur le CopyHeart, traduite en français par mes soins, pour apporter une pierre, et agrémentée des strips de Mimi and Eunice.

***

♡Copier est un acte d’amour. Merci de copier et de partager.

♡Copier des oeuvres est un acte d’amour.

Les gens copient les oeuvres qu’ils apprécient. Ils ne copient pas les choses qu’ils n’aiment pas. Plus une oeuvre est copiée, plus sa valeur augmente. Les copies que font les fans n’enlèvent pas de la valeur aux oeuvres ; elles leur en ajoutent, copie après copie.

L’amour n’est pas soumis à la loi

Bien que nous apprécions et utilisions les licences libres quand elles s’avèrent utiles, elles n’apportent pas de solution définitive aux problèmes engendrés par les restrictions du copyright. Plutôt que d’essayer d’éduquer le public aux complexités de la législation sur le droit d’auteur, nous avons choisi de faire connaître notre intention par cette simple déclaration :

♡Copier est un acte d’amour. Merci de copier.

♡ Merci de copier et de partager

Le ♡ Copyheart signifie que nous VOULONS que vous copiez et partagiez nos créations. Sans restrictions. Prenez nous aux mots : merci de copier et de partager.

Q. Le ♡ Copyheart est-il protégé par le droit des marques ?

R. Non. Il s’agit seulement d’une déclaration d’intention. Son effectivité dépend uniquement de la manière dont les gens l’utilisent et non de la contrainte exercée par l’Etat. Voici ci-dessous quelques symboles qui de même ne sont pas protégés par le droit des marques, mais dont la signification est largement (bien que parfois imparfaitement) comprise :

✝ ☪ ✡ ☺ ☮ ♻

Q. Le ♡ Copyheart a-t-il une valeur juridique ?

R. Probablement pas, bien que vous puissiez vous livrer à cette expérience :

  1. Placez votre création sous le symbole ♡ Copyheart.
  2. Attaquez quelqu’un en justice pour l’avoir copiée.
  3. Observez la réaction du juge.


Nous ne pensons vraiment pas que les lois et la « propriété imaginaire » jouent un quelconque rôle dans les sentiments des gens et dans leurs rapports culturels. Créer encore davantage de licences et de contrats ne fait que perpétuer les problèmes engendrés par le droit quand il s’immisce là où il ne devrait pas. Le fait que le ♡ Copyheart n’ait pas de valeur juridique n’est pas un bug ! C’est absolument intentionnel !

Q. Comment utiliser le ♡ ?

R. Utilisez-le à la place du symbole ©, et au lieu de:

© Copyright 2010 par Auteur/Artiste. Tous droits réservés.

Vous pouvez écrire :

♡2010 par Auteur/Artiste. Copier est un acte d’amour. Merci de copier.

Vous avez compris ? Mais bien sûr, vous pouvez utiliser le symbole ♡Copyheart exactement comme vous l’entendez. Nous n’en sommes pas propriétaire et personne ne l’est.


Publié initialement sur ::S.I.Lex::

Photos et illustrations :
Mimi and Eunice : ♡2011 Nina Paley. Copier est un acte d’amour. Merci de copier.

Photo de Nina Paley via Flickr par Sage Ross [cc-by-sa]

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http://owni.fr/2011/05/30/copyheart-un-amour-de-licence-libre/feed/ 12
Sur les traces de la PirateBox http://owni.fr/2011/04/20/sur-les-traces-de-la-pirate-box/ http://owni.fr/2011/04/20/sur-les-traces-de-la-pirate-box/#comments Wed, 20 Apr 2011 08:20:26 +0000 microtokyo http://owni.fr/?p=56561

Passer un week-end à la campagne a du bon : rien de tel qu’une randonnée pour entretenir vos muscles et voir les effets de la rurbanisation. Se mettre au vert, c’est aussi l’occasion d’un apéro au cours duquel vos amis vous soufflent votre prochain sujet de post. Samedi soir, c’est donc au pote/DJ/producteur de drum n’bass-dubstep Jean Zar de délivrer le précieux mot clé : PirateBox. Qu’il soit à nouveau remercié ici, la notion de piratage urbain me taraudant depuis la visite de la Demeure du chaos.

Les corsaires du XVIIIe siècle auraient pu se cantonner aux cours de récré si leurs aspirations ne nourrissaient pas aussi celles des adultes. Que mettent en scène des œuvres aussi différentes que la saga Pirates des Caraïbes et le célèbre essai d’Hakim Bey, TAZ [pdf] - Zones d’autonomie temporaire (1997) ? Des individus réunis dans des espaces démocratiques où chacun échange et partage librement, en marge d’un État centralisateur distillant l’information au compte-goutte à ses populations. À moins d’être vraiment réac’, comment ne pas adhérer ?

Hadopi, muse des hackers ?

Intéressons-nous à Bey. Dès le début du web, il voit dans ce réseau non hiérarchisé d’informations le terreau idéal pour ses zones temporaires d’autonomie. L’évolution de la marche mondiale lui donnera raison :

Comme Gibson et Sterling, je ne pense pas que le Net officiel  parviendra un jour à interrompre le Web ou le contre-Net. Le piratage de données, les transmissions non autorisées et le libre-flux de l’information ne peuvent être arrêtés. En fait la théorie du chaos, telle que je la comprends, prédit l’impossibilité de tout Système de Contrôle universel. Le web n’est pas une fin en soi. C’est une arme.

Une arme ? Plutôt un arsenal : co-production de logiciels libres, hackers, espaces d’expression participatifs et communautés affinitaires sont autant de techniques permettant de contrer lois et monopoles.

Dernière pépite française en date, Hadopi, ou comment faire la chasse aux internautes soupçonnés de télécharger illégalement des fichiers sur le principe du mouchardage. Dans un premier temps, des acteurs privés comme les ayants droit et les éditeurs épient puis dénoncent les adresses IP des ordinateurs incriminés en s’invitant dans les échanges  peer-to-peer. Le ver est dans le fruit.

C’est ensuite Hadopi (donc l’État) qui sévit : mails d’avertissement, lettres en recommandé, amende, voire suspension de connexion ou procès. Surveiller et punir, on connaissait déjà la chanson. C’était sans compter sur la débrouillardise des internautes fort empressés d’appliquer la stratégie de la disparition si chère à Nietzsche, Foucault et Deleuze. S’extraire du regard omniprésent de la loi en cryptant l’adresse IP de son ordinateur personnel ou en indiquant une fausse.

Le développeur allemand I2P [en] propose ainsi un réseau d’adresses IP anonymes. Le navigateur libre Mozilla va dans le même sens en proposant la fonctionnalité Do not track [en]. Cette stratégie renvoie peut-être à deux demandes de liberté plus fondamentales : celle d’échanger librement des paroles et des fichiers, et celle d’utiliser le web anonymement, en toute privacité , sans être traqué par d’innombrables mouchards – sites, navigateurs et moteurs de recherche en tête. Les données de votre connexion Internet engraissent bien des informaticiens et des marketeurs !

Elle revient à moins de 100 euros

Si cette dernière phrase vous donne la chair de poule, c’est que la PirateBox [en] est pour vous. Conçue par l’universitaire new-yorkais David Darts [en], c’est une boîte à repas pour enfants… abritant une plateforme WiFi portable permettant de chatter et de partager tous types de fichiers dans le plus parfait anonymat. Sobrement composée d’un routeur wireless, d’un serveur Linux connecté à un disque dur USB et d’une batterie, la PirateBox permet à tout internaute se trouvant à proximité de se connecter et d’échanger avec les membres du réseau. De quoi satisfaire les plus mobiles d’entre nous !

Fonctionnant en réseau fermé (pas de raccord avec d’autres box ou d’autres sites), les avantages sont nombreux : le caractère éphémère et hyperlocal du réseau permet de rencontrer de nouvelles têtes partout où se trouve une PirateBox. On rompt ainsi avec l’entre soi assez typique des communautés supposées plus ouvertes (Facebook, QuePasa…).

D’autre part, le fait que la box n’enregistre ni votre adresse ni votre historique de navigation permet d’échanger des fichiers sans risquer de passer sous les fourches caudines des sbires d’Hadopi. Mobilité, privacité et simplicité semblent les atouts de cette box enfantine. Histoire de joindre l’utile à l’agréable, le design du skull apporte un doux parfum de détournement.

Mais le plus fort dans cette affaire, c’est que, dans le plus pur esprit Do It Yourself, vous pouvez monter une PirateBox vous-même pour moins de 100 euros. David Darts est un mec bien, il vous laisse les tutoriels ici [en] ! On vous sent brûlant d’impatience, regardez ce petit docu :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Déjà utilisée à NYC, Oslo ou Paris, la boîte pirate est bien plus qu’un simple gadget technologique. En misant sur son caractère artisanal et privatif, elle relativise la notion (si tendance) de trace numérique.

À l’heure où l’on parle à tout bout de champ d’éditorialisation participative de la ville, la Box semble remixer plusieurs leitmotivs alternatifs : la générosité et la bonne humeur hippie, le no future punk des années 70, la méfiance des radios rock face aux industries culturelles et l’anonymat des  raves parties des années 1990.

La PirateBox n’en finit pas avec les traces. Elle permet aux usagers à la fois d’en laisser entre membres du réseau (amitiés naissantes, partage de fichiers et de valeurs), et de ne pas en laisser à leur insu à des acteurs du web intéressés par l’argent et/ou le pouvoir.

Le savoir, j’y ai droit !

On le sait, la technologie n’est qu’un outil. Elle ne donne ni le mode d’emploi clé en main ni le sens à la société qui l’utilise. Toute généreuse que soit la PirateBox, elle ne résout pas la confusion qui s’opère souvent entre désir d’accès pour tous au savoir et protection des droits d’auteurs. A moins de devenir soi-même un tyran, on ne peut systématiquement en appeler à la générosité forcée de celles et ceux qui créent quelque chose de leur tête et/ou de leurs mains.
Risquons-nous à cette banalité : en ce monde où il est difficile de ne vivre que d’amour et d’eau fraîche, il est légitime pour un créateur de vouloir et pouvoir gagner sa vie avec son travail. La PirateBox aurait t-elle le même potentiel d’effet pervers que les échanges peer-to-peer ?

David Darts propose la Free Art Licence [en], sur le principe du copyleft, double jeu de mot par rapport au copyright. Parmi les grands axes de celui-ci, copying in not theft !. En d’autres termes, un auteur peut autoriser la copie, la diffusion, l’utilisation et la modification de son œuvre par des tiers.

Sans être juriste, on peut se rappeler ce que disait le sociologue Marcel Mauss il y a près d’un siècle : toute société, à commencer par celles traditionnelles non régies par l’argent roi, fonctionne sur le principe du don et du contre-don. Le fait d’avoir toujours une obligation de réciprocité, fut-elle symbolique (reconnaissance, soutien, participation), permet d’équilibrer les rapports sociaux et rend possible davantage d’égalité. Ce que fait l’autre est à la fois un don et un dû dès lors que je m’inscris dans la même logique d’échange.

Cette PirateBox, on l’aime parce qu’elle est accessible à tous, nous fait gagner en privacité et facilite la diffusion du savoir hors des seuls paramètres du profit. On l’aime aussi en ce qu’elle est un outil de questionnement sur nos pratiques de téléchargement et notre rapport à la production d’œuvres. Le débat amorcé par les licences libres et l’éthique sont de bonnes pistes.

Par exemple, cette maxime de la plate-forme de labels musicaux indépendants, CD1D : télécharger c’est découvrir, acheter c’est soutenir. Mais aussi, celle de Lénine reprise par quelqu’un de plus pacifique, Edgar Morin : moins mais mieux.


Publié initialement sur le blog Microtokyo, sous le titre, Avec la Pirate Box, partager votre butin !
Crédits photos et illustrations :
Photos de la Pirate Box par David Darts [cc-by-nc-sa] ; Logo du Copyleft stylisé pirate ; Leaker-Hacker par Abode of Chaos [cc-by] sur Flickr

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